L’ALGÉRIE MALADE DE SES BLESSURES

LES BIENHEUREUX, de Sofia Djama – 1h43

Avec Sami Bouajila, Nadia Kaci, Amine Lansari

Sortie : mercredi 13 décembre 2017

À mon avis : 4 sur 5

Le pitch ?

Alger, quelques années après la guerre civile. Amal et Samir ont décidé de fêter leur vingtième anniversaire de mariage au restaurant. Pendant leur trajet, tous deux évoquent leur Algérie : Amal, à travers la perte des illusions, Samir par la nécessité de s’en accommoder. Au même moment, Fahim, leur fils, et ses amis, Feriel et Reda, errent dans une Alger qui se referme peu à peu sur elle-même.

2 raisons d’y aller ?

Le portrait d’un pays au bord de la crise. En racontant le parcours de plusieurs habitants d’Alger le temps d’une nuit banale,  Sofia Djama montre sans faire de grands discours comment les cicatrices d’un pays dévasté par la guerre civile sont toujours présentes et comment entre bigoterie et prévarication, le pays survit dans un malaise permanent. Avec des personnages qui oscillent entre résignation et cynisme. Confidences de la cinéaste : « Il y a les adultes qui avaient vingt ans en octobre 1988 lors du soulèvement populaire et celui de leurs enfants âgés de vingt ans en 2008 (ma génération), période à laquelle se déroule l’histoire, quelques années, donc, après la guerre civile ». Au fil des séquences, les protagonistes peuvent passer de moments joyeux à un affrontement et comment, sur la simple décision d’un banal policier, l’on peut se retrouver privé de liberté. Passé un éclat violence, la vie reprend comme avant. Avec, en fil directeur, la question permanente : faut-il ou non quitter un pays au bord de la crise ?Un film bien filmé et bien joué. Sofia Djama aime le paysage urbain de sa ville natale et sait la célébrer même si le décor n’est pas toujours idyllique : des rues verticales aux abords des barres d’HLM en passant par la promenade de la Corniche et ses points de vue sur la Méditerranée. « Son esthétique est si particulière : une lumière oppressante, un urbanisme stalinien qui écrase ses habitants, les vestiges d’une architecture coloniale haussmannienne, mais aussi mauresque, art déco, moderniste école Le Corbusier, bref une confusion architecturale qui incarne parfaitement la relation tumultueuse de l’Algérie avec son Histoire ! « , souligne la réalisatrice.

Mêlant  comédien professionnel et amateurs (l’étonnant personnage du tatoueur pour une des séquences fortes du récit), Sofia Djama a construit une distribution homogène dont tous les interprètes sont d’une justesse totale.  Face à un Sami Bouajila, prêt à courber l’échine pour demeurer en Algérie, son épouse est jouée avec une grande subtilité par Nadia Kaci qui fait passer mille émotions sur son visage. Quand à Lyna Khoudri, marquée par les années noires, elle parvient à incarner aussi bien une volupté certaine que la rébellion. Elle a reçu pour ce rôle le Prix de la meilleure actrice de la section Orizzonti de la dernière Mostra de Venise.

Un récit fort et qui ne peut que nous émouvoir, loin de toutes les images d’Épinal, souvent véhiculées par le Maghreb.

 

 

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