De fait, on est d’emblée surpris de voir un des pontes de la sociologie moderne, une figure du Collège de France, dans son quotidien où ce travailleur permanent pousse ses fils à faire du sport, semble toujours à l’écoute des autres. Il rappelle aussi une prestation de Bourdieu à Apostrophes, une émission regardée cérémonieusement dans sa famille, et qui s’était trouvé face à Pierre Perret. Il poursuit : « (...) loin de s’être montré condescendant, maladroit ou mal à l’aise avec le chanteur populaire volontiers gouailleur et tout à fait capable de mettre en boite un intellectuel, il s’en était fait presque un bon camarade, sans démagogie ; il l’avait amusé et s’était lui-même amusé, grâce à l’humour et la simplicité avec lesquels il trouvait avec tout le rapport le plus direct. »
Au détour d’un chapitre, Denis Podalydès signe un très beau portrait de l’épouse du sociologue , Marie-Pierre, qui partagea avec lui tous ses combats. Et savait organiser le cours de l’existence avec l’esprit du bonheur comme en témoignent les pages sur les vacances dans le petit village pyrénéen, tout près de Pau où le comédien alla plusieurs fois jusqu’en 1993.
Et, en racontant, non sans humour et autodérision, comment il contribua, modestement, à l’élaboration de La Misère du monde, par des interviews d’artistes qui n’avaient pas connu le succès, Denis Podalydès montre aussi comment Bourdieu travaillait : « (…) il me déconseilla de mentir sur le but de l’enquête et de ne jamais parler d’échec ou de réussite ; il ne s’agissait pas de juger un parcours, une carrière ou une absence de carrière, mais de susciter seulement un récit. Il comprenait les refus et les dérobades que je n’allais pas manquer encore d’essuyer. »
Cette évocation d’un « paradis perdu » de l’adolescence, toujours écrit avec une grande pudeur, est aussi une réflexion sur l’engagement, sur certaines désillusions du monde intellectuel de gauche au début des années 1990. Pour Pierre Bourdieu , ce discours néolibéral ambiant s’imposait (déjà !) comment allant de soi, notamment dans les médias. Et Denis Podalydès de rappeler le traquenard de l’émission de janvier 1996, Arrêt sur images, où le sociologue est pris à partie par Jean-Marie Cavada, alors à la tête de La Marche du siècle, et de Guillaume Durand, alors figure de TF1.
En parallèle de ces souvenirs souvent émouvants, on découvre aussi les coulisses d’une vie d’artiste, ses doutes, ses échecs. Un travail subtil aussi sur le déterminisme familial et un récit d’une grande profondeur humaine.
(*)Camera Obscura / Julliard
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