Séance de rattrapage
Le nouveau film de Kelly Reichardt, First Cow est une tragédie sur fond d’amitié, loin des images du genre et des westerns où la virilité est tapageuse et la violence une philosophie de vie.
First Cow, c’est une histoire d’amitié sur fond de conquête des terres américaines. Au début du XIXe siècle, sur les terres sauvages de l’Oregon, Cookie Figowitz, un pauvre cuisinier, se lie d’amitié avec King-Lu, un immigrant d’origine chinoise. Rêvant tous deux d’une vie meilleure, ils montent un modeste commerce de beignets qui ne tarde pas à faire fureur auprès des pionniers de l’Ouest. Le succès de leur recette ? Il tient à un ingrédient secret : le lait qu’ils tirent clandestinement chaque nuit de la première vache introduite en Amérique, propriété exclusive d’un notable des environs.
Depuis vingt-six ans, Kelly Reichardt, figure du cinéma indépendant américain, s’ingénie à dresser une cartographie qui sorte des sentiers battus des États-Unis. Tournant ses films avec une grande économie de moyens, elle a ainsi signé un polar sans crime, à 30 ans, River of Grass; plus tard Old Joy, œuvre marquante sur l’amitié masculine ou encore une autre sur les marginaux (Wendy and Lucy)…
Cette fois, elle débarque dans un film de genre très marqué par la testostérone et la virilité et surprend son monde. Dans cette histoire, elle part encore une fois d’un paysage : il s’agit du fleuve Columbia dans la région de Portland, qui borde le terrain où vivent ces aventuriers. Ici, pas de coup de pistolet à tout va, et les deux protagonistes principaux se partagent les tâches du quotidien dans leur misérable cabane en lisière de la forêt. Dans cet univers de colons musclés, Cookie et King-Lu affirment le droit de n’être pas un tueur. Et quand une bagarre de colons alcooliques éclate dans le petit bar, les deux amis s’en tiennent soigneusement à l’écart, Cookie préférant même s’occuper d’un bébé dans son berceau. On est à cent coudées du héros traditionnel de l’Ouest américain.

