Un guetteur sur un plateau

De 1960 à 1990, il a capté tout un pan du cinéma français. Caché derrière son objectif, Georges Pierre a photographié des grands noms du 7ème Art, de Marlène Jobert à Catherine Deneuve en passant par Jean-Paul Belmondo, Gérard Depardieu. 100 ans, 100 films- profession photographe de plateau (*) est un volume aéré et rythmé qui fait passer cet homme de l’ombre, dans la lumière.

Découvrir 00 ans, 100 films, c’est faire un joli saut dans le passé pour retrouver tout un pan de l’âge d’or du cinéma français où, de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard à L’Important c’est d’aimer, de Andrzej Zulawski, on revisite les grandes heures d’un cinéma qui en fit rêver plus d’un. On mesure alors à quel point Georges Pierre, décédé en 2003 et qui aurait eu 100 ans cette année a su immortaliser bien des plateaux de films dont beaucoup sont devenus culte. Georges Pierre qui définissait ainsi son métier, lui qui avait d’abord été comédien avant d’embrasser le métier de photographe : « Être au service d’une création tout en gardant l’originalité de son œil. Savoir que l’on ne sert à rien pour la fabrication du film, mais à tout pour sa mémoire. Être présent, vigilant, mais couleur de muraille. » Au fil des années, Georges Pierre inventa même un « blimp », ce dispositif d’insonorisation pour appareil photo qui permet au photographe de travailler, sans bruit, sur le plateau de tournage pendant les prises de vue.

Au fil de la lecture, servie par une mise en page aérée, on découvre « l’œil » d’un professionnel toujours sur la brèche mais, qui sait se faire discret pour capter une atmosphère fugace. L’échange de regard entre Isabelle Adjani et Jacques Dutronc sur le tournage de Violette et François en dit long sur une complicité forte. Hors champ, il sait aussi capter un moment d’intimité quand Jane Birkin s’occupe de Charlotte se délectant d’une glace entre deux scènes du Mouton enragé. Il y a aussi la proximité de Marlène Jobert et Charles Bronson attendant de passer dans le champ sur le plateau du Passager de la pluie. Et quelques cadrages attirent l’œil, ainsi celui d’Eddie Constantine muni d’un appareil photo, et dont l’ombre se reflète sur le mur, aux côtés de Jean-Luc Godard et Anna Karina durant le tournage de Alphaville

Romy Schneider

Georges Pierre ne shootait pas des photos purement commerciales, il immortalisait l’envers du décor et des moments de vie que, seuls, les habitués des plateaux de cinéma ont connu. La main protectrice d’un Claude Sautet, posée sur l’épaule de Romy Schneider dans Une histoire simple, témoigne d’un côté protecteur du réalisateur avec « sa » star. Et quand il capte un instant dans la vie d’Orson Welles sur le tournage de Vérités et mensonges, c’est pour saisir la statue d’un commandeur sanglé dans un costume noir et qui d’un doigt pointé ordonne quand la main le long du corps tient un imposant cigare qui se consume. Quant au regard inquiet et attentif de Sophie Marceau écoutant Andrzej Zulawski durant le tournage de Mes nuits sont plus belles que vos jours, il en dit long sur les relations entre eux.

Même dans les portraits, Georges Pierre sait saisir l’homme (ou la femme) qui apparaît derrière la vedette. La moue d’un Jean-Louis Trintignant sur Le Désert des Tartares montre l’esprit de dérision de l’homme. Et l’image de Pierre Richard, en boxeur d’un jour, est une belle expression de l’éternel distrait du cinéma

In fine, ce volume rend un juste hommage à un guetteur silencieux du 7ème Art.

(*) Neva Éditions

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