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LA GRANDE TRAVERSÉE, de Steven Soderbergh – 1h55
Avec Meryl Streep, Candice Bergen, Gemma Chan, Dianne West
– Sortie : 2020 –
DIffusion : sur Canal+, mardi 20, 21h00
Avec ce film intimiste, Steven Soderbergh a porté à l’écran une nouvelle de Deborah Eisenberg, auteure majeure aux États-Unis. L’essentiel se déroule sur un paquebot lors d’une traversée. Le pitch ? Écrivaine américaine à succès et lauréate du prix Pulitzer, Alice Hughes, en panne d’inspiration, entreprend un voyage à bord du Queen Mary 2, vers l’Angleterre où elle doit recevoir un prix littéraire. Elle est accompagnée de son agent, de deux amies qu’elle n’a pas vues depuis trente ans, et de son neveu Lucas. La traversée s’annonce moins calme que prévu…
En artisan consciencieux, Steven Soderbergh occupe tous les postes ou presque – mais sous d’autres identités – au générique de ce voyage durant lequel les masques vont tomber petit à petit. Outre la réalisation, il est ainsi directeur de la photographie sous le pseudonyme de Peter Andrews et monteur sous celui de Mary Ann Bernard. Et il a tourné ce nouveau film avec une équipe réduite et en deux semaines à bord du Queen Mary 2, un des paquebots les plus célèbres du monde. Ainsi, ils sont passés presque inaperçus au milieu des autres passagers car le cinéaste s’est servi d’un prototype de caméra de dernière génération, placée dans un fauteuil roulant, assisté seulement d’un preneur de son et sans utiliser le moindre éclairage artificiel.
Mêlant plusieurs thèmes – les difficultés d’écrire et l’inspiration, la peur de la mort, l’éveil des sens, les relations familiales et amicales – Soderbergh joue sur une partition intime avec des séquences qui se jouent souvent à deux et dévoilent graduellement les vieilles blessures de ces trois amies dont l’une est devenue célèbre et s’est, sans doute, inspirée pour son roman-phare de la vie personnelle de l’une de ses amies. En femme déclassée et à la recherche d’amour et d’argent, portant un improbable chapeau texan, Candice Bergen fait d’ailleurs une composition inattendue.
Si le film sacrifie au partenariat inévitable – avec des séquences répétées sur la vie de ce palace flottant au luxe suranné – il fonctionne car le scénario est défendu par des comédiennes magnifiques avec, au premier rang, Meryl Streep qui cache bien des secrets derrière son sourire impénétrable, masquant, sinon sa difficulté de vivre (le retournement final en surprendra plus d’un) du moins celle d’écrire. Comme le prouvent ses échanges avec son éditrice qui pense que la croisière peut lui offrir un effet libérateur et tente par tous les moyens d’avoir des éléments sur l’œuvre en gestation. À cet égard, la traditionnelle conférence qui « paye » la traversée de la romancière offre un échange très juste entre elle et un auteur de romans policiers au succès éclatant. Le talent des trois comédiennes n’apparaît que plus grand quand on sait que, même si le scénario a été écrit par Deborah Eisenberg, elles ont eu toute latitude pour improviser. Selon Soderbergh lui-même, 70% des scènes sont improvisées et le reste correspond au script.
Si le film, inédit en salles, n’est pas, cinématographiquement, révolutionnaire, il offre des points de vue assez fins sur la psychologie de ses personnages et un regard original sur les affres de la création.


