Patrimoine
RETOUR à ITHAQUE, de Laurent Cantet – 1h35
écrit par Laurent Cantet et Leonardo Padura Avec Isabel Santos, Jorge Perugorria, Fernando Hechavarria
Sortie 2014
Mélancolique et émouvant, Retour à Ithaque est un retour sur le passé dont les constats sont parfois douloureux. Nous sommes à la Havane, sur le toit d’une des vieilles maisons dominant le Malecon. Le soleil se couche. Cinq amis sont réunis pour fêter le retour d’Amadeo après seize ans d’exil. Du crépuscule à l’aube, ils évoquent leur jeunesse, la bande qu’ils formaient alors la foi dans l’avenir qui les animait … mais aussi leur désillusion d’aujourd’hui.
Sans effets spéciaux, ni décors spectaculaires, sans musiques cubaines de carte postale, Laurent Cantet son son co-scénariste Leonardo Padura signent un film qui tient sur les dialogues et la manière qu’ont les comédiens cubains de dire des dialogues d’un grand réalisme, sans se départir d’une forme d’humour et de dérision. Pour le cinéaste, diriger des grands comédiens était obligatoire ici. Il souligne : « Ça me semblait assez indispensable d’avoir des gens qui étaient capables de tenir un monologue de 3 ou 4 minutes parfois« . On ne peut qu’être étonné par le jeu de ces acteurs – avec notamment Jorge Perugorria – qui sont toujours dans le tempo.
Tourné avec deux caméras en simultané, ce Retour à Ithaque se termine moins bien que le voyage de retour d’Ulysse, tant pour ces amis quinquagénaires, évoquer le passé consiste à montrer combien ils ont dû renier leurs rêves de jeunesse. Et comment Cuba a connu des années sombres après l’espoir né de la chute de la dictature de Batista. Et, sans détour, le scénario évoque aussi bien des cubains qui vivent sous perfusion de l’argent envoyé par les immigrés que ceux qui ont été contraints de surveiller et dénoncer des proches.
Mais, comme dans la comédie italienne de la grande époque, cela est fait entre deux éclats de rire, quelques larmes aussi durant cette nuit où l’abus d’alcool est propice à toutes les confidences. Au détour d’une séquence, une chanson peut symboliser l’atmosphère d’une époque. Ainsi on entend California Dreamin’, de The Mamas & The Papas qui était une musique interdite à l’époque où se passe le long métrage.
Outre le jeu affûté des comédiens, le film repose aussi sur une utilisation parfaite des terrasses de ces vieux immeubles cubains, en forme de scène de théâtre à ciel ouvert. Lors de la sortie du film, Laurent Cantet disait : « C’est un lieu assez incroyable car d’un côté, il y a la mer qui devient noire au cours de la nuit, et qui représente cette ouverture souvent impossible vers l’extérieur, (…). Et de l’autre côté, il y a une autre mer, qui est une mer de toits, toits-terrasses, avec des gens qui vivent-là, des enfants qui jouent… Et beaucoup de sons qui arrivent de la rue. C’est un procédé assez théâtral ».
La nuit de ces vieux amis qui conversent sans aucune complaisance est d’une totale authenticité et cette histoire originale nous touche de bout en bout.


