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Elle fut une grande historienne et critique d’art du cinéma. Timon Koulmasis revient sur son parcours dans un documentaire remarquable. Par amour du cinéma : Lotte Eisner est un passionnant portrait de cette femme qui partagea avec Henri Langlois les combats pour la Cinémathèque.
Née à Berlin en 1896, Lotte Eisner (ci-dessus avec Werner Herzog) a suivi le cinéma dès ses origines. Fille d’un commerçant juif qui voulait pour elle une situation stable, elle a obtenu un doctorat en art et archéologie avant de s’ennuyer lors d’un voyage en Italie dans le milieu des chercheurs et de bifurquer vers le journalisme en 1927 : d’abord critique de théâtre, elle devint vite la plume de Film-Kurier, fameux quotidien de cinéma publié à Berlin. À ce poste, elle croise les plus grands cinéastes allemands : Murnau, Lang, Pabst…
L’arrivée de Hitler à la chancellerie de Berlin la pousse à l’exil en 1933. Des années plus tard, comme le rapporte ce documentaire, elle se souvient comme Leni Riefensthal est venue la voir un jour pour lui proposer de prendre le thé avec un grand personnage : c’était Adolf Hitler. Et Leni de dire : « Je ne voulais pas rencontrer ce type horrible. »
C’est à Paris que Leni file sentant que le nazisme va embraser l’Allemagne avec son idéologie immonde. Elle y fait tous les petits métiers pour survivre : enseignante, secrétaire…. La rencontre avec Henri Langlois va être déterminante pour la dame très digne qui s’exprime cachée derrière ses lunettes noires.Avec lui et Georges Franju, un très grand cinéaste, elle fonde la Cinémathèque française en 1937. Durant la guerre, Langlois va lui permettre d’échapper au pire lui fournissant une fausse identité : sous le nom d’Escoffier, elle se cache dans le Lot dans une grande demeure où Langlois a planqué des bobines de films menacés. C’est là que l’on trouve notamment ce Dictateur que Hitler voulait voir avant de… le détruire.
Même si elle est internée au camp de Gurs dans les Pyrénées, elle ne connaît pas le sort tragique de sa mère, morte en déportation. Après la Libération, elle retourne à la Cinémathèque dont elle devient la conservatrice en chef, une fonction qu’elle occupe jusqu’à se retraite forcée en 1975. Elle publiera peu de livres mais son Écran démonique, paru en 1952, reste la bible pour découvrir l’expressionnisme allemand.
À travers les témoignages de toute la nouvelle vague du cinéma allemand – les Werner Herzog, Wim Wenders ou encore Volker Schlondorff – on mesure l’importance de cette vieille dame digne pour la connaissance du 7ème art. Comme Langlois, sa passion permanente et sa culture ont fait des miracles pour préserver bien des films. En prime, elle a permis à la jeune génération du cinéma allemand de faire oublier la « parenthèse » nazie et les années de Libération pour leur redonner une vraie légitimité artistique. On ne peut qu’être ému par le témoignage de son ami Werner Herzog qui, apprenant sa maladie en novembre 1974, vient à pied de Munich pour la visiter à Paris et marche pour conjurer le son, affirmant qu’il « ne peut y avoir de cinéma allemand sans elle. »
Faisant un usage subtil des images, en mêlant habilement les interviews aux images d’archives et aux extraits de films, ce documentaire brillant rend un juste hommage à cette grande dame du cinéma.
