UN SALAUD ORDINAIRE…

PATRIMOINE


LACOMBE LUCIEN, de Louis Malle, 2h18

Avec Pierre Blaise, Aurore Clément, Holger Löwenadler

Sortie : 1974

Il a fallu attendre longtemps pour que le cinéma hexagonal ose aborder, loin de tout héroïsme, la période de la collaboration et dépeigne la vie de « salauds » ordinaires. Avec Lacombe Lucien, Louis Malle a osé faisant du personnage un archétype de ce que Marx nomme le lumpenprolétariat, classe sociale qui  collaborait avec les forces de la répression par manque de  culture politique et de vision d’avenir. De fait, son « héros » en est l’exemple parfait… Nous sommes en juin 1944, Lucien Lacombe, un jeune paysan travaillant à la ville, retourne pour quelques jours chez ses parents. Son père a été arrêté par les Allemands, tandis que sa mère vit avec un autre homme. Il rencontre alors son instituteur, devenu résistant, à qui il confie son désir d’entrer dans le maquis. Mais il essuie un refus. De retour en ville, il est arrêté par la police et dénonce son instituteur. Il est bientôt engagé par la Gestapo.

Le sujet est difficile, le terrain glissant et pourtant Louis Malle parvient à cerner la psychologie ambigu d’un jeune homme rejeté par les maquisards car trop jeune; ébranlé par la vie privée de sa mère et qui succombe à l’attrait de progresser socialement en jouant les auxiliaires de la Gestapo.

Sur un scénario subtil signé Patrick Modiano, qui abordait la collaboration dans ces premiers romans, La Place de l’Étoile et La Ronde de nuit, Louis Malle signait une mise en scène efficace et légère où, de séquences intimes en moments plus collectifs, quand Lucien se trouve en première ligne avec des miliciens, il décrit la lente descente aux enfers d’un déclassé comme il y en eut tant d’autres dans la France occupée. Ou quand il calme ses accès de violence sur les animaux, que ce soit en tuant les lapins  ou en arrachant la tête d’une poule (une scène qui n’était pas écrite ainsi dans les scénario mais que le jeune comédien costaud fit naturellement) Et son histoire d’amour avec une jeune fille juive va ple ousser vers le précipice. Une histoire qui, malgré le passage des ans, garde toute son acuité dans les temps que nous connaissons.

Musicalement, la gravité du propos est atténuée par des airs de jazz choisis par le cinéaste pour accompagner son Lacombe Lucien. En optant notamment pour les enregistrements de 1942-43 de Django Reinhardt, cela confère à ce drame une atmosphère mélancolique et cafardeuse à souhait. Un grand film dérangeant. Et un acteur qui avait un vrai talent mais qui mourut, quelques mois après, dans un accident de voiture dans sa région de Moissac.

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