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Humeur
Après l’avoir poussé il y a près de quatre ans à la porte, la direction du Service public nous gratifie d’un hommage sur Georges Pernoud ce soir à 21h05, donc à une heure d’écoute décente. Une habile récupération pour faire un peu d’audience sur le dos d’un passionné d’images et de télévision qui avait été écarté sans grande délicatesse.
« Les morts sont tous de braves types« , chantait Brassens. Le poète a toujours raison et la disparition de Georges Pernoud à 73 ans le prouve encore une fois : tous les moyens sont bons pour capitaliser sur l’émotion en évoquant un homme venant de mourir et qui a connu des décennies de gloire à la télévision avant que la direction qui officie toujours aujourd’hui ne lui fasse mettre discrètement sac à terre. Simplement après le remue-ménage à la suite de l’éviction de Julien Lepers, un an avant, les dirigeants de France 3 avaient agi moins frontalement avec lui. On en oublierait presque que Thalassa continue de voguer, mais à petite vitesse, le dimanche vers 15h00 et présentée par une certaine Sabine Quindou. Le temps de se laisser du temps pour couler un concept en douceur. Désormais le vendredi soir, France 3 préfère des émissions souvent de promotion musicale et sans grande créativité pour occuper ce créneau.
Goerges Pernoud n’était, il est vrai, plus un de ces jeunes loups du PAF, lui qui avait commencé comme cadreur à l’ORTF en 1968, avait participé à deux expéditions d’Haroun Tazieff au Congo notamment sur le cratère du Nyagongo, avant de mener sa barque toute seul. C’est le , qu’il avait proposé le projet d’un magazine télévisé consacré à la mer. Deux jours plus tard, elle fut acceptée et la première, qui se passa à Marseille, fut diffusée le le sur France 3 : Thalassa était née.
Si au départ, la voix-off était de règle, Georges Pernoud et sa bande vont en faire un vrai magazine inventif, curieux et qui trouve les faveurs du grand public. À partir de 1989, Thalassa occupe un prime-time en fin de semaine après avoir été une mensuelle. La suite, on la connaît et l’émission a fait voyager bien des téléspectateurs et a su évoquer la mer sous toutes ses formes, sans jamais oublier l’humain qui entoure ces rivages et les enjeux politiques et économiques de ce milieu.
Pour avoir accompagné l’équipe de Thalassa et celle de Faut pas rêver, autre création de Georges Pernoud, sur un certain nombre de tournages, j’ai le souvenir d’un patron proche de ses troupes. Juste avant un direct, il fallait lui rappeler que sa veste était mal mise et un simple passage de la main lui suffisait à coiffer son épaisse tignasse. Pernoud était un créatif et un homme d’images, pour autant, il se souciait peu de son image. Ce qui contraste avec notre époque où le moindre journaliste passe son temps à voir si sa mèche est bien comme il faut ou se fait filmer en train de passer un coup de téléphone pour prouver qu’il enquête. C’est la « télévision selfie » dont le Service public pourrait peut-être se passer… et qui n’apporte aucune plus-value journalistique. Proche de ses troupes, Pernoud l’était quand, bénéficiant de deux places en classe affaires en avion, à cause du surcoût des bagages en soute, il les attribuait à ces cameramen. « C’est eux qui font le boulot le plus fatigant », disait ce producteur qui ne ménageait jamais sa peine.
Bien d’autres anecdotes pourraient être racontées sur cet homme de mer qui finalement sera enterrée en pleine terre, dans la Dordogne d’adoption qu’il avait découverte grâce à sa femme Monique. Ce soir, c’est sûr, et même si l’on va être content de feuilleter à nouveau le journal de bord du capitaine Pernoud, nous aurons droit à un certain bal des hypocrites. Ces gestionnaires qui ont fait chuter Thalassa, même si son concept était sans doute un peu usé avec le temps, par une programmation des plus hasardeuses.
Georges Pernoud n’était pas exempt de défauts, c’est ce qui le rendait attachant mais, il fut un vrai esprit curieux et libre : les 1 704 numéros de l’émission le prouvent amplement. Ceux qui vont assurer ce service après-vente de la mémoire n’auront qu’un mot à la bouche : « Bon vent, Georges Pernoud !« , se contentant de reprendre la formule qu’il utilisait pour clore son magazine.
« Il y a trois sortes d’hommes: les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. » Qu’importe où non que la formule soit de Aristote… En tout cas, elle pourrait servir d’épitaphe à Georges Pernoud à l’heure où il a largué définitivement les amarres. L’homme passe, ses images vont rester.
