PIERRE RICHARD, AU CLAIR DE LA LUNE

Sémillant octogénaire, Pierre Richard public un étrange objet poétique né d’une rencontre : Nuit à jour, fruit du travail fraternel avec la romancière Indrid Astier et le musicien Jb Hanak. Poétique et prenant.

Il a la ride profonde, le regard pénétrant et une voix ensorcelante. Sur la pochette de Nuit à jour, Pierre Richard vous cueille de l’œil droit. Nuit à jour, une étrange aventure, né d’un livre, puis d’un spectacle. Retour en arrière.

Autrice de polar, Ingrid Astier est au départ de l’aventure. En 2014, elle publie  chez Gallimard un Petit éloge de la nuit, « fruit de notes vagabondes, de nuits inspirées, de lectures ou de dialogues croisés ». Or, quatre ans auparavant, elle avait lié connaissance avec les frères Hanak, du duo de musique électronique dDamage, qu’elle a invités à rédiger deux pages de cet ouvrage. Ensuite, il y a eu une autre rencontre amicale avec Pierre Richard qui porta en scène les mots du livre.

À 86 ans, cet amateur de musiques a alors accepté de montrer une autre facette de lui avec des textes à cent coudées du personnage lunaire qui fit son succès au cinéma. Parfois, on a le sentiment que ces textes n’ont pourtant été écrits qu’en attendant sa venue. Ainsi quand il lance : « Souvent, je me demande qui je suis. Je suis à moi-même ma propre nuit. »Plus loin, il ponctue d’un « Distrait, moi ! », accompagné d’un petit rire, un texte où il annonce sa couleur : « La distraction, c’est la ruse des rêveurs. Le moyen qu’ils ont trouvé pour s’échapper. À la conversation, à la tyrannie des objets, au chemin tracé… D’un simple, on dit qu’il a un quartier de lune dans la tête. »

C’est un disque dont il faut lentement se laisser pénétrer en goûtant les jeux de mots sur « Nyctalope », par exemple où il parle, entre deux onomatopées jazz, d’une souvenir « d’une sensation exotique »

Les paroles poétiques, oniriques sont soutenues par l’emballage sonore, électrisé  de Jb Hanak (son frère, disparu en 2018, avait bossé sur l’ouvrage initial et un texte leur rend hommage) qui confie avoir voulu « essayé de donner à Pierre Richard des rôles qu’il n’a jamais eu au cinéma. » Avec ce pèlerin,  il pouvait compter sur un artiste qui se moque de prendre des risques et le prouve en faisant lui-même un cri de loup dans Zoom, alors qu’à l’origine, la partition reposait sur un sample de cri de loup. Plus avant, Jb habille de sonorités de « houle » océane le très beau texte dédié au Niphargus avec la voix de l’interprète qui se perd en écho.

Le cinéma n’est donc jamais absent de l’univers de Pierre Richard qui salue la nuit, les « errances nocturnes » et ce tempo facilitant les « confidences. » Et qui conclue dans Cinéma par ses paroles prophétiques : « Je vis mal d’aller au cinéma en pleine journée. La nuit de l’écran me semble tellement sacrée, qu’il m’est insupportable de reparaître en plein jour, comme expulsée d’une matrice originelle. »

Au cœur de ces temps confinés, si durs pour le monde des artistes, cet album sonne comme une invitation au lâcher-prise  et  toutes les libertés poétiques. La nuit, tous les chats ne sont pas gris quand Pierre Richard donne de la voix sur les textes de Ingrid Astier. Et des sonorités qui « oscillent entre hallucination et obsession. »

(*)Modulor

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