BUSTER KEATON SE JOUE DE LA CAMÉRA

L’OPÉRATEUR, de Edward Sedgwick et Buster Keaton – 1h15

Avec Buster Keaton, Marceline Day, Harold Goodwin

Sortie : 16 septembre 1928

Avec L’Opérateur (aussi nommé Le Cameraman), Buster Keaton et son coréalisateur se joue de la mise en abime. L’histoire est celle d’un gars pauvre et un brin lunatique, Luke, un photographe qui réalise des tintypes (en français, procédé ferrotype). Dans un mouvement de foule, il tombe amoureux d’une femme qui s’appelle Sally : il la suit et constate qu’elle travaille auprès de la MGMdans le service des actualités. Tout comme Stagg, qui par ailleurs flirte avec la jeune femme, il veut devenir opérateur d’actualités et achète à cet effet une vieille caméra d’occasion.

Sally lui indique en cachette qu’il va y avoir des évènements à filmer dans Chinatown.  Luke s’y rend, contraint sur le trajet de recueillir, à la suite d’un accident, un petit singe, puis filme la fête ainsi que la guerre des gangs qui s’ensuit tout en échappant aux chinois qui le prennent à partie et veulent le tuer…

Une fois encore, Buster Keaton campe un être au visage impavide, sauf quand il exprime le désir amoureux, et qui doit se battre contre les obstacles du quotidien et les éléments. Contrairement à un Chaplin dont l’humour est plus engagé contre les malheurs du monde et qui n’hésite pas, non plus, à flirter avec le mélodrame. Or, chez Keaton, si le héros tombe amoureux, peut être empressé, il n’est jamais transi et ne craint pas le ridicule comme en témoigne la séquence de la piscine publique.

Chez l’artiste physique qu’est Buster Keaton qui déploie toute son énergie – les étonnantes séquences de courses dans la rue ou de descente à toute vitesse dans l’escalier de son immeuble – pour dompter la vie qui file à toute vitesse,  exister c’est comme partir au quotidien à la guerre.

Et puis, il y a dans ce film très subtil un regard sur le cinéma en train de se faire. Et que ce soit au cœur de la guerre des gangs que durant la course en hors-bord, Luke ne cesse de vivre que pour tourner. Incarnation de l’esprit américain dans la volonté de réussir malgré les aléas de la vie, Buster Keaton offre ici une réflexion sur ces images qui déferlaient – déjà !- partout et qui attiraient le grand public. Ultime clin d’œil de l’artiste : la présence humoristique de son double sous la forme d’un petit macaque, portant la même casquette que lui, et capable de tourner lui-aussi. Comme si l’acte de filmer était plus fort que son auteur. Comme si l’image avait le pouvoir d’exister par elle-même.

Novateur, Keaton pose ici comme source de sa création le cinéma lui-même. Un acte si fort qu’il fait passer l’amour en deuxième position, même s’il reste un des thèmes porteurs de cette comédie douce-amère où les talents d’acrobate de Keaton dominent une fois encore le jeu comme dans la séquence réglée au millimètre du tournage où Luke bascule dans le vide quand l’échafaudage sur lequel il filme tombe vers la chaussée.

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