PATRIMOINE
FILM, de Alan Schneider -21 minutes
Scénario de Samuel Beckett
Avec Buster Keaton, Nell Harrison, James Karen.
Découvrir Buster Keaton à la fin de sa vie, dirigé par Alan Schneider sur un scénario écrit et élaboré par Samuel Beckett ne peut qu’être un choc car il est le fruit de l’association improbable et logique entre deux grands artistes du XXè siècle, deux artistes qui ont fait de l’absence de parole (ou de l’économie de la parole) une marque de fabrique.
Tourné à New York durant l’été 1965, Film est un ovni cinématographique dans lequel Buster Keaton – filmé la plupart de temps de dos, sauf dans le retournement final, mais reconnaissable à sa dégaine et à son célèbre chapeau – joue un homme « O » qui fuit le monde l’entourant pour se retrouver dans une pièce défraichie où il se protège du moindre reflet, du moindre éclat de lumière !Avec des références évidentes au célèbre Chien Andalou, de Luis Buñuel, avec la cruauté en moins, ce film inclassable pose la question du regard et de celui de la caméra avec un personnage muet prostré devant un miroir voilé. Avec le thème du balancement maternel sur la chaise où finit par se pose le personnage de « O ». La fin du scénario du métrage l’indique clairement : « Image de O se balançant, la tête dans les mains, mais pas encore affalé. Image de OE. Image de O affalé en avant, la tête dans les mains. Tenir pendant que le balancement se meurt » .
Dans son texte Aperçu général, le grand dramaturge soulignait encore : « O » en mettant les mains devant ses yeux récuse sa présence d’être au monde, comme si sa propre image était, plus que toutes les autres, redoutable, innommable, inimaginable. »
Jeu sur la disparition des mots et de l’image, hommage à un génie du cinéma Muet – l’idée de la séquence entre le chien et le chat est un clin d’œil évident à cette période d’explosion créatrice – Film est, malgré son côté inabouti (en témoigne le documentaire passionnant Not Film, film-essai de Ross Lipman proposé dans le DVD), cette unique incursion en première ligne de Beckett au cinéma est un prolongement fascinant de son travail sur les mots et la réalité dans le domaine de l’art cinématographique. Et puis, il y a cette apparition d’un fantôme : celui de Buster Keaton, sortant de sa retraite, qui ne parvient pas à survivre artistiquement à l’arrivée du Parlant, et qui fait ici ses derniers pas devant une caméra : il mourra un an plus tard.
