IRAN : LA JUSTICE MÉDIATIQUE

YALDA, LA NUIT DU PARDON, de Massoud Bakhshi – 1h29

avec Sadaf Asgari, Behnaz Jafari, Babak Karimi

Sortie : mercredi 7 octobre 2020

Mon avis : 5 sur 5

Le pitch ?

Iran, de nos jours. Maryam, 22 ans, tue accidentellement son mari Nasser, 65 ans. Elle est condamnée à mort. La seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Il suffirait que Mona accepte de pardonner Maryam en direct devant des millions de spectateurs, lors d’une émission de téléréalité…

3 raisons pour aller voir ce film ?

Une plongée dans la réalité iranienne. Victime d’une vraie campagne en Iran – certain voulaient même le voir prendre – après la sortie européenne de son premier film, Une famille respectable, Massoud Bakhshi a mis longtemps avant de pouvoir attaquer ce nouveau film. Il raconte : « J’ai donc vécu une longue période d’attente avant de faire un deuxième film. J’avais déjà en tête l’histoire d’une femme condamnée à mort pour avoir tué son mari. J’y décrivais tous les événements depuis la rencontre, le mariage temporaire, les conflits avec le mari et la famille du mari, en particulier sa fille. L’attente tourmentée que j’ai subie a enrichi mon récit d’une dimension plus personnelle : je comprenais cette femme condamnée. Attendre un verdict et subir une punition alors qu’on ne connait pas précisément sa faute et ses conséquences, c’est douloureux. »

En choisissant « Yalda », cette fête zoroastrienne qui marque le début de l’hiver, un jour important en Iran, pour donner son titre à son film, le cinéaste signe un drame classique bouleversant en respectant les fameuses unités de temps, de lieu et d’action du théâtre classique. Et avec, pour décor, le cadre irréel d’une émission de télé-réalité qui existe bel et bien en Iran.

Dans un pays où la loi du talion et le pardon sont au cœur de la relation islamiste, dans une conception archaïque de la vie en société, ce drame prend alors une résonance toute particulière.

Le jeu sinistre de la télé-réalité. Il serait facile de montrer du doigt la société iranienne car les principes mêmes de l’émission de télé qui sert d’écrin à l’expression de cette loi du talion sont exactement les mêmes en Europe, qui ne vit heureusement pas sous la coupe d’un tel régime islamiste. Certes, il ne s’agit pas encore chez nous d’envisager une absolution des crimes, via la télévision,  mais les ressorts y sont identiques : la dramatisation à outrance, le spectaculaire pour le spectaculaire, le voyeurisme et le poids de la publicité, des sponsors, le côté mielleux de l’animateur…  Le bateleur  iranien a, in fine, bien des similitudes avec certains de nos bateleurs cathodiques : chacun pourra y retrouver le sien !

Un casting éblouissant. Il fallait un talent fou pour camper avec une telle justesse et une telle force des ceux femmes que tout oppose. Jeune pousse du cinéma iranien, Sadaf Asgari est magistrale dans le rôle de Maryam, cette jeune femme qui ne veut pas abdiquer sa dignité, même si sa vie est en jeu. Quant à Behnaz Jafari, c’est un visage connu en Iran (on se souvient de Trois visages, de Jafar Panahi par exemple)  et elle jouait déjà dans Une famille respectable : dans ce film, elle parvient, avec une grande économie de moyens, à faire passer la moindre émotion, le moindre doute.

Avec ce drame absolument splendide qui a remporté le Grand Prix du Jury au dernier Festival de Sundance, les artistes iraniens prouvent que la création est plus forte que toute censure. Le grand film de cette rentrée.

 

 

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