Patrimoine
En adaptant de manière très libre le roman de Joseph Kessel, Belle de jour, en 1967, Luis Buñuel signait une fois de plus un film sur un thème sulfureux. Le résultat reste toujours magistral.
Belle de jour, c’est l’histoire d’une bourgeoise qui décide de se prostituer… Le sujet ? Épouse très réservée de Pierre, Séverine est en proie à des fantasmes masochistes révélant son insatisfaction sexuelle. Poussée par la curiosité, elle se rend discrètement dans une maison de rendez-vous et devient bientôt, à l’insu de Pierre, « Belle de Jour », la troisième pensionnaire de Mme Anaïs. Elle semble trouver son équilibre en assouvissant les désirs de ses clients mais l’aventure créé une vraie tension quand Marcel, voyou habitué de la maison, s’éprend de Séverine…
Si le film décrocha un mérité Lion d’Or au Festival de Venise, Belle de jour conserve, cinq décennies plus tard, toute sa puissance sulfureuse. Kessel ne tint pas ombrage à Luis Buñuel et son scénariste favori, Jean-Claude Carrière, des libertés prises avec le roman original, transformé pour en faire un objet cinématographique des plus singuliers.
Dans ce récit remanié, il trouve matière à satisfaire un de ses péchés mignons : mêler le rêve à la réalité. Ainsi, les cauchemars sadomasochistes de Séverine lui offrent l’occasion de séquences étonnantes comme celle qui ouvre le film dans les bois et où elle rêve à certains sévices que pourrait lui infliger son si traditionnel époux. On y retrouve aussi les fascinations du cinéaste pour les pieds, objets de tous ses fantasmes, et son goût du sarcasme pour ce qui touche à la religion. Sans oublier la dénonciation de la pédophilie qui est implicitement évoquée durant toute l’histoire.
Pour réussir un tel film qui pouvait vite tomber dans le scabreux, Luis Buñuel devait aussi trouver le casting sans la moindre fausse note. Celui de Belle de jour est tout à fait extraordinaire. Michel Piccoli est inquiétant à souhait; Francis Blanche campe le patron d’une petite usine, très porté sur « la chose », Françoise Fabien joue une belle de nuit très classe, quand Pierre Clementi, avec sa dentition d’or, est une étonnante petite frappe.
Et puis, il y a au cœur du film, la royale Catherine Deneuve. Son choix est une idée des producteurs. Et c’était gonflé car Catherine Deneuve était marqué en France pour son rôle de jeune fille pudique et spirituelle dans Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Il y avait il est vrai son personnage de femme blessée dans le Répulsion, de Roman Polanski. Même s’il aimait les actrices plus troubles comme Jeanne Moreau, Luis Buñuel se laissa convaincre et ne le regretta point. Dans Conversations avec Luis Buñuel, il déclara : « Son genre m’a paru convenir pour le personnage : très belle, réservée et étrange. Je l’ai acceptée. »
Et dans la scène comme celle – dérangeante- du cercueil avec le toujours distingué Georges Marchal, elle est troublante à souhait. Tout comme dans celle où Séverine découvre, par un judas, les goûts particuliers du magistrat qui se déguise en majordome pour parvenir à jouir.
Certes Catherine Deneuve ne garde pas du tournage un souvenir ému car les relations avec Buñuel pouvait être difficile : « C’est bien de subir ce genre de contraintes, mais on doit aussi travailler de son plein gré. Là, je n’ai pas dépassé le premier stade : celui de la contrainte. J’étais trop jeune peut être. Séverine ressemble aux obsessions de Buñuel, pas à moi ». Malgré tout, à voir le résultat final qui n’a pas pris une ride, la contrainte fut payée de retour et Catherine Deneuve a pu exprimer tout un aspect trouble de Séverine, sans se départir de son altière beauté.
