Acteur fétiche de Luis Buñuel et de Claude Sautet, Michel Piccoli a tiré sa révérence, n’ayant jamais renoncé à son sens de la liberté et ses convictions politiques. Un très grand nom de l’écran et de la scène.
Chez Michel Piccoli, on était agrippé par la voix grave et le regard profond. L’homme avait l’audace des timides et il n’a jamais hésité à camper des personnages complexes, déchirés et de jouer dans des films audacieux. On se souvient par exemple de la comédie déjantée et fantastique de Claude Faraldo en 1973, Themroc, ce brûlot contestataire, où les dialogues étaient remplacés par des grognements et autres hurlements…(Luc Besson s’en souviendra dans son premier film, Le Dernier Combat). On pourrait encore évoquer cette Grande Bouffe, qui fit scandale lors de sa présentation au Festival de Cannes, en 1973, qui racontait la réunion de quatre amis dans une belle demeure qui décidaient de vivre la nourriture jusqu’à la mort ! C’est en 1980 qu’il remporte un Prix d’interprétation pour Le Saut dans le vide, de Marco Bellochio.
Sans jamais hausser le ton, Michel Piccoli aura tenté bien des aventures au cinéma comme sur scène, avouant « se régaler à jouer l’extravagance ou les délires les plus troubles« . Après s’être engagé avec bien des jeunes réalisateurs, – Leos Carax, Jacques Doillon par exemple – il avait attendu ses 70 ans pour passer aussi derrière la caméra. Aux Cahiers du cinéma, il disait encore : « Peu m’importe (…) de faire des choses non commerciales, dangereuses. Je préfère les prototypes aux séries. »
Les cinéastes de renom ont vite compris le parti qu’ils pourraient tirer du sens du jeu d’un comédien qui aimait le danger et Piccoli a tourné avec Renoir, Resnais, Demy, Melville, Buñuel, Godard, Varda et Hitchcock, entre autres ! A l’automne de sa vie, il avait même tourné un pape mélancolique qui n’a pas vraiment envie d’endosser ce sacerdoce dans Habemus Papam, de Nanni Moretti, en 2011. Selon lui, ce personnage était un homme qui, « avant tout, a un grand sens de la dignité de sa tâche et non pas de sa gloire« .
C’est l’univers de Sautet que Michel Piccoli marqua durablement de son empreinte, tant sa personnalité collait à l’univers si archétypal des Trente Glorieuses du cinéaste. Luis Buñuel avait senti tout le potentiel « dérangeant » d’un acteur capable de jouer bien des situations troubles avec une classe parfaite. Piccoli fut aussi magistral dans Le Journal d’une femme de chambre, Le Charme discret de la bourgeoisie que dans Belle de jour, adaptation splendide d’un roman de Kessel.
Né dans une famille de « musiciens sans passions » qui lui a sans doute servi de contre-modèle tant elle était « égoïste, raciste et franchouillarde« , Michel Piccoli n’a jamais caché ses convictions à gauche, lui qui fut membre un temps du Parti communiste. En compagnie de son ami Gilles Jacob, il avait livré quelques clés de son parcours en 2015 – il avait près de 90 ans – dans J’ai vécu dans mes rêves. Il y faisait montre d’une grande franchise, par exemple quand il s’agissait d’évoquer avec sa discrétion coutumière sa vie privée notamment dans des pages magnifiques de pudeur sur sa relation avec Juliette Gréco. « Ça a été douloureux, de mon côté en tout cas » écrivait-il.
Si Piccoli a marqué le grand et le petit écran, il faut aussi marquant au théâtre, on se souvient notamment de lui dans Le Misanthrope au Théâtre de la ville en 1969, tout comme on se souvient de sa prestation dans Dom Juan ou le Festin de Pierre, adapté pour la télévision par Marcel Bluwal en 1965. Il avait aussi créé dans la mise en scène de Patrice Chéreau Le Combat de nègre et de chien en 1983. « Le théâtre, ce fut d’abord le désir de fuir pour aller respirer ailleurs » disait-il.
Vivant de cet art jusqu’au bout de la vie, Michel Piccoli avait, dans ce livre de souvenirs, avoué aussi son désarroi devant ce temps qui, inexorablement, passait : « On voudrait que ça ne s’arrête jamais et cela va s’arrêter ». Le rideau est tombé mais, Piccoli vivra éternellement sur grand écran.
