E-Cinéma
CYRIL CONTRE GOLIATH, de Thomas Bornot et Cyril Montana – 1h26
Documentaire
Sortie : E-Cinéma, à compter du 13 mai sur 25° Heure
Mon avis : 4 sur 5
Le pitch ?
Cyril, écrivain parisien, n’aurait jamais imaginé que Lacoste, le village de son enfance, puisse un jour se faire privatiser par le milliardaire Pierre Cardin. Poussé par son fils et alors que rien ne le destinait à ça, il décide de s’engager contre cette OPA d’un genre nouveau et entame un véritable bras de fer avec le célèbre couturier.
Ce qui touche dans ce doc ?
Commençant par un dîner-engueulade avec son fils Grégoire – dont on sent qu’il juge son père trop « gauche caviar » – ce documentaire inattendu montre comment depuis 2001 et le rachat du
célèbre château du marquis de Sade, Pierre Cardin, grand nom de la mode, a fait petit-à-petit main basse sur ce petite village flanquée en haut d’une colline du flanc nord du petit Luberon.
Auparavant, un professeur passionné, natif du coin, et passionné d’histoire, André Bouer s’était battu avec ses faibles moyens et une foi du tonnerre pour commencer la rénovation de cette demeure délabrée qu’il avait acquise en 1952. Un travail de longue haleine qui avait conduit à l’inscription du château au titre des monuments historiques en août 1992. Datant du XIe siècle, largement modifié par la suite, il est célèbre comme le château du marquis de Sade, car le divin Marquis le posséda et y séjourna un peu entre 1769 et 1772, année où il y fit construite un théâtre qui pouvait accueillir 120 personnes. En septembre 1792, le château – que Sade a décrit dans La Marquise de Gange notamment- a été victime de la Révolution et partiellement détruit et, criblé ensuite de dettes, il devra s’en défaire en 1796…
Si Cyril Montana, ancien nom de la communication, a eu envie de jouer le combat du pot de terre et du pot de fer -et ce sans une certaine naïveté, comme il le montre dans ce doc – c’est parce qu’enfant, il a passé de longues semaines dans ce village où son père, un vrai baba-cool s’était installé et où, comme il le raconte, une grand-mère avait acheté un pied-à-terre.
Remontant le fil du temps, Cyril Montana, montre bien comment le village fut, dans les années 60-70 une véritable pépinière d’artistes. Si Picasso, André Breton, Man Ersnt ou encore René Char, venu en voisin, furent des habitués du lieu, le village fut une pépinière d’artistes attirés par le cadre et par la chaleur des habitants. Dans les années 1970, par exemple, l’artiste américain Bernard Ffriem s’y est établie et a créé une école d’art, attirant chaque année, des dizaines d’étudiants américains, Lacoste devenant petit à petit un mélange entre la culture artistique et la vie rurale dans une belle harmonie.
Si Pierre Cardin a, au début, donné le change et organisé notamment un Festival de musique, faisant croire à des désirs de développement du lieu, le documentaire montre très bien comment, au fil des temps, il a surtout acheté une à une les maisons du village et les commerces, parvenant à convaincre les plus hésitants en sortant un carnet de chèques des plus garnis. Il possède aujourd’hui 40 maisons et une dizaine de boutiques dans ce village presque fantôme. Pierre Cardin le dit ouvertement : « Il y a en qui collectionnent les timbres, moi je collectionne les maisons. »
Donnant la parole aux habitants, maire d’hier et d’aujourd’hui compris, Cyril Montana explique clairement la stratégie d’occupation du village en montrant comment Pierre Cardin pratique un art consommé de l’esquive, refusant toute entrevue pour évoquer un futur possible pour un village laissé vide. Le réalisateur est, par exemple, convaincu de la viabilité de location des commerces à des artistes et des commerçants pour relancer la vie du village, telle qu’il l’a connue dans son enfance.
Même en tentant de faire une longue marche pour sensibiliser population et médias, même en utilisant ses réflexes de communicant, et en embarquant son fils dans l’aventure, il se heurte au silence du nouveau marquis de Lacoste. Mais, comme le montre le happening final, il ne compte pas baisser la garde.
À une époque où la population est de plus en plus sensible à la préservation des villages d’antan et au retour d’une vie rurale, ce documentaire apporte un éclairage sensible sur une forme de mécénat qui se moque un peu des « petites gens »… et se préoccupe surtout de cultiver son image et sa marque.
