Une fresque révolutionnaire magistrale

PATRIMOINE


Sorti en 1927, film de commande pour 10e anniversaire de la révolution bolchévique, Octobre fait partie des œuvres marquantes de Sergueï Mikhailovich Eisenstein. Il reconstitue dans une fresque magistrale en noir et blanc ces jours qui ébranlèrent durablement le monde…

Avec Octobre, Eisenstein réussit la gageure de retracer les grands moments de la Révolution russe… Tout commence au début de l’année 1917 dans l’empire russe. Une foule de manifestants en colère détruit la statue d’Alexandre III. La bourgeoisie, l’armée et l’Église se réjouissent de l’instauration d’un gouvernement provisoire qui, par solidarité avec les Alliés, décide de continuer la guerre contre l’Allemagne. Mais sur le front, soldats russes et allemands laissent tomber les armes et fraternisent. Le peuple, quant à lui, a faim et commence à le faire savoir. Bientôt ouvriers, soldats et marins se réunissent. Le gouvernement libéral de Kerensky ne parvient pas à faire cesser une agitation qui monte des tranchées, saisit les usines et déborde dans les rues malgré eux. Les bolcheviks entretiennent la contestation populaire en soufflant sur les braises…

Même si l’on n’est pas familier du cinéma muet, on ne peut qu’être sous le charme de cet Octobre, où Eisenstein fait montre de sa totale créativité et de ses audaces visuelles. Il a pu compter sur une distribution plus que solide et bon marché : au générique du film, outre des comédiens, figurent les soldats de l’Armée Rouge, les marins de la Flotte Rouge, des ouvriers et des citoyens de Leningrad. De quoi favoriser les grands mouvements de foule dont, par un montage serré, Eisenstein restitue la force révolutionnaire, la fougue qui porte ces révolutionnaires. Un génie du montage qui deviendra un modèle pour ses successeurs.Et puis, partant d’un banal film de propagande, Eisenstein sait faire œuvre très originale. Orchestré par la musique de Chostakovich, utilisant tous les procédés narratifs – symbolisme, métaphores… – Eisenstein nous emporte dans le grand souffle de son récit où, de plans larges en gros plan sur des visages d’une totale expressivité, jouant sur l’ombre et les lumières, il parvient à faire partager ces instants révolutionnaires et le quotidien de ces révoltés. Ainsi dans la séquence mémorable où les insurgés découvrent les caves, si richement garnis du star, ou la chambre de la tsarine. Ou encore celle où le régiment des femmes se reposent et où l’on découvre de la lingerie suspendue… à des baïonnettes.

Certes, les intertitres sont au service de l’esprit révolutionnaire et comme tel des slogans, mais Octobre dépasse (et de loin) le film de propagande devenant un film d’avant-garde, marqué par toute l’ébullition esthétique de l’époque où un vent novateur souffla sur l’art. Un très grand film qui maque le cinéma muet.

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