PATRIMOINE
Film de circonstance s’il en est, Le Hussard sur le toit (1995) permettait à Jean-Paul Rappeneau d’adapter ce très grand roman de Jean Giono alors que plusieurs projets n’avaient jamais pu voir le jour. Si le film n’évite pas un certain académisme, Rappeneau a su mêler lyrisme, romanesque et aventures dans une belle fresque épique.
Le récit du Hussard sur le toit, le roman de Giono sorti en 1951, est inspiré d’une vraie épidémie. Pour autant, même si elle n’exista pas dans les symptômes et l’importance, tel que décrits par le roman, cette deuxième pandémie de choléra survint la même année à Paris et à Marseille en 1832.
L’histoire se passe donc durant cette année tragique. Le choléra décime la Provence, laissant sur son passage des cadavres au visage bleu, grimaçant de souffrance. Angelo, hussard italien poursuivi par les Autrichiens pour menées révolutionnaires, prend toutefois le temps de soigner les innocentes victimes. Il prend aussi le temps d’aimer en silence la jeune Pauline, lancée sur les routes à la recherche d’un mari mystérieux. Invulnérable et pur, il affronte tous les dangers…
Chez Giono, comme dans l’adaptation fidèle qu’en fit Rappeneau, le choléra a une valeur symbolique : malgré ses nombreux contacts avec les malades, Angelo ne l’attrape pas. Les personnages qui ont une force psychologique, du tempérament échappe au mal, comme si c’était la peur du choléra qui tuait et pas la maladie elle-même… Jean Giono soulignait ainsi : « Le choléra est un révélateur, un réacteur chimique qui met à nu les tempéraments les plus vils ou les plus nobles. »
A l’origine, ce roman devait être le premier d’une série qui, à la manière de Balzac dans La Comédie humaine, aurait constitué une grande fresque se déroulant en Provence dont la moitié se serait déroulée en 1840 et l’autre cent ans plus tard, une période qui causa au demeurant quelques soucis à Jean Giono à la Libération.
Pour ce film au très gros budget à l’époque, Jean-Paul Rappeneau a magnifiquement utilisé les décors naturels, exploitant une trentaine de décors de la Provence et de Haute Provence, des rues des Halles, filmées à Tarascon au Fort des Têtes, de Briançon pour les scènes du fort en quarantaine, en passant par Cucuron pour les scènes – spectaculaire s- de toits, ou la place des Quatre Dauphins à Aix-en-Provence pour la fête du début et de la fin du film. Les images
magnifiques vaudront d’ailleurs le César de la meilleure photographie à Thierry Arbogast.
Si le jeu d’Olivier Martinez n’est pas toujours d’une totale finesse, Juliette Binoche exprime, elle, toutes les nuances de la sensibilité de Pauline de Théus qui se bat pour retrouver son époux, alors que la mort rode dans les villes et la campagne.
Sachant ménager les scènes d’aventures et des séquences qui ne dépareilleraient pas dans un film de cape et d’épée – des échanges brefs, mais d’une grande densité et justifiés dans l’économie du récit- Jean-Paul Rappeneau offre un magnifique prolongement cinématographique au roman. Quant au casting, il est magistral : on y retrouve Jean Yanne, étonnant en colporteur juif; Isabelle Carré, en jeune gouvernante ou encore François Cluzet dans le rôle d’un médecin qui affront le mal avec courage. Sans oublier Gérard Depardieu, campant le commissaire de police de Manosque.
Ce roman en avait fasciné plus d’un. Dans les années 50, René Clément devait l’adapter avec Gérard Philipe dans le rôle d’Angelo Pardi, dont il aurait sans doute signé une composition mémorable. Plus tard, Luis Buñuel avait repris l’idée pour l’abandonner. Entre autres… Jean-Paul Rappeneau a relevé le défi. Et le gagne avec la maestria qu’on lui connaît.
