
PATRIMOINE
S’il est un cinéaste tatillon, c’est bien Stanley Kubrick. Quand il adapte le roman picaresque de William Makepeace Thackeray en 1975, c’est pour signer avec Barry Lyndon un film dont l’esthétique nous plonge dans un passé magnifié. A voir et revoir sur Arte ce dimanche 12 avril…
Avec Barry Lyndon, Stanley Kubrick racontait l’histoire d’une déchéance et décrivait sans la moindre pitié les vanités humaines. C’est l’histoire d’un ambitieux tricheur dans l’âme… Redmond Barry est un natif d’Irlande du XVIIIème siècle qui devient soldat dans l’empire britannique puis prussienne, et dont les titres de noblesse sont d’être jouer aux cartes et tricheur professionnel. Il parvient à épouser a comtesse de Lyndon pour se faire un nom, poussant le mari de celle-ci vers la déprime et la mort…
Après avoir longtemps réuni une masse colossale de documents, comme à son habitude, pour tourner le sujet dont il rêvait – un film sur Napoléon qui le fascinait, Kubrick se tourna vers un autre fim en costumes qui lui permettait d’exploiter la somme des recherches faites pour son Bonaparte en adaptant sur le deuxième roman de William Makeapeac Thackeray, publié en 1844. Il décide alors que le récit sera conté par une voix off à la troisième personne quand le roman d’origine se déroulait à la première personne du singulier.
S’attaquant à un film à costumes, Stanley-le-perfectionniste ne pouvait que signer une version des plus personnelles. À revoir le film, on mesure bien comment le cinéaste a voulu, symboliquement, nous faire revenir à une esthétique du passé. Au grand dam de Ken Adam, choisi pour superviser la photo et les décors – et qui quittera le plateau avant la fin du tournage – Kubrick, ancien photographe, voulut réaliser son film en extérieur dans d’authentiques demeures d’époque et voulut éclaire les scènes d’intérieur à la chandelle ! Ce qui pour beaucoup de techniciens passait pour une hérésie.

Têtu, Kubrick mit trois mois pour trouver l’objectif qu’il cherchait : un Zeiss 50mm conçu par la NASA pour être utilisé sur la Lune. Et une caméra spéciale fut même bricolée pour fixer cet objectif. Finalement, il y eut quand même un éclairage complémentaire fixé au plafond pour capter les scènes à la bougie. Mais le résultat est là et les plans du film ressemblent souvent à des tableaux d’époque. Poussant le soin du détail jusqu’au bout, Kubrick acheta aussi les principaux costumes originaux du film, une partie étant copiée à partir de tableaux et dessins d’époque.
Méticuleux, Kubrick l’était aussi pour ses choix musicaux, capable de revisiter électroniquement Beethoven pour la célébre bande originale d’Orange mécanique. Cette fois, c’est Schubert qui l’inspira comme il le raconta par la suite : « Je crois bien que j’ai chez moi toute la musique du XVIIIe enregistrée sur microsillons. J’ai tout écouté avec beaucoup d’attention. Malheureusement, on n’y trouve nulle passion, rien qui, même lointainement, puisse évoquer un thème d’amour ; il n’y a rien dans la musique du XVIIIe qui ait le sentiment tragique du Trio de Schubert. J’ai donc fini par tricher de quelques années en choisissant un morceau écrit en 1814. Sans être absolument romantique romantique, il a pourtant quelque chose d’un romanesque tragique. »
Après le désistement de Robert Redford, à l’origine pressenti pour jouer ce personnage de tricheur, Kubrick fit un choix inattendu : celui de Ryan O’Neal, le célèbre époux endeuillé du dégoulinant de bons sentiments Love Story. Ryan O’Nealavait beaucoup tourné dans des comédies loufoques (La Barbe à papa) et dut faire les frais du comportement machiavélique du cinéaste. Ainsi pour tourner la séquence où Barry Lyndon est effondré au chevet de son fils, Kubrickmultiplia les prises de cette scène – on parle d’une cinquantaine ! – pour que le comédien nerveusement épuise, craque physiquement. C’est cette scène-là qui fut conservée…
Avec un tournage qui dura 300 jours répartis sur deux ans – et qui connut deux interruptions importantes – Barry Lyndon marqua les esprits à sa sortie. Une sortie où Kubrick fit montre une fois de plus de son esprit maniaque. Lors d’une projection au cinéma Warner de Leicester Square, un des assistants du cinéaste fit irruption dans le bureau du directeur pour exiger l’arrêt de la séance car le cache de projection n’était pas le bon : le technicien de la salle avait opté pour du 1,85 et Kubrick préférait le 1,66. Et, en France, comme de nombreuses salles n’en possédaient pas, le réalisateur leur en fournit lui-même.
Malgré cette débauche d’énergie, l’échec commercial du film aux États-Unis affecta profondément Stanley Kubrick. Et, même si le film remporta un Oscar pour la musique, la photo, la direction artistique et les costumes, le cinéaste ne rafla aucun récompense personnelle. Pour autant, son film à costumes continue de marquer la mémoire des cinéphiles…
