PATRIMOINE
Il a fini sa vie dans un vrai dénuement. Une triste réalité pour Abel Gance qui fut un des pionniers du cinéma français. La preuve avec son J’accuse, plaidoyer contre la guerre sorti en 1919. Une pépite du cinéma muet.
Tourné en 1918, J’Accuse est une charge magistrale contre la boucherie de la guerre. Il fallait bien du courage à Abel Gance pour tourner un tel opus dans le climat de célébration nationale qui accompagne la fin de la guerre de la Première Guerre mondiale. Et pourtant, Gance osa, reprenant pour titre le célèbre article que Zola publia à la Une de L’Aurore et qui changea le cours de l’affaire Dreyfus. Mais là, il s’agit bien de dénoncer cette « connerie de guerre » comme l’écrira des années après Jacques Prévert.
Tourné durant les derniers mois du conflit, ce long film (3 heures) aux accents mélodramatiques montre chaque étape de la guerre. Dès le début, on découvre comment Edith, une jeune femme a été mariée de force par son père, présenté comme un vétéran de la guerre de 1870, alors qu’elle aime Jean Diaz, un poète juif (un choix osé pour l’époque) qui est plongé dans sa plus grande œuvre Les Pacifistes et vit au côté de sa mère. Tout au long du film – l’histoire de deux amoureux
rivaux que la guerre va rapprocher – Gance va utiliser force trucages pour dénoncer cette guerre, incrustant ainsi bien des symboles dans l’image comme celui du squelette ou encore celui d’un chien qui montre les crocs.
Si les procédés techniques ont pu vieillir (certaines colorations notamment), ils sont mis au service d’un cinéaste qui veut exprimer toute la folie qui conduit à au conflit et fait ressentir une permanente terreur. Cette guerre sera ensuite montrée sous toutes les coutures : de la boue qui emprisonne à la peur qui étreint juste avant l’attaque en passant par la vie d’une tranchée. Et ce J’accuse montre avec force comment sur la ligne de front comme à l’arrière, même si le danger n’a rien à voir, cette guerre provoque bien des traumatismes et ruine des vies. Un carton le rappelle : « La guerre tue aussi bien les mères que les fils. »Évoquant bien des décennies après ce film avec l’historien américain du cinéma Kevin Brownlow, Abel Gance dira : « Lorsque je découvris la mort de la plupart de mes amis, j’eus cette rage insensée d’utiliser ce nouveau médium, le cinéma, pour montrer au monde la stupidité de la guerre. Nous étions encore au milieu du conflit, et il était très difficile de faire un film pacifiste. Je me demandais quel sujet je pourrais choisir pour bien montrer la stupidité du conflit. Un jour, alors que je traversais le boulevard du Château, étant encore mobilisé, j’eus cette idée qu’il fallait que tous les morts reviennent – et dès lors devenus incontournables, ils nous obligeraient à finir la guerre immédiatement. »
Le sommet du film demeure la séquence de la dernière partie où, justement, les Poilus morts au combat et qui, se levant de leur sépulture, viennent comme pour demander des comptes. Telle une armée de zombies qui vient clamer aux vivants l’absurdité du premier conflit mondial et les accuser, témoins muets, d’avoir causé ce sacrifice inutile. Des décennies après sa sortie, on ne peut que ressentir une émotion profonde à la vision de ces images…
Le sujet tenait tellement à cœur Abel Gance qu’il en signa une version parlante en 1938 en reprenant même certains extraits du négatif muet, notamment celui des morts-vivants dans son nouveau film. On le voit, Gance a toujours eu le courage de défendre ses idées quitte à heurter l’opinion générale.
