PATRIMOINE
En 1937, Jean Renoir signait, dans La Grande Illusion, un de ses plus grands films. Avec la guerre de 14-18 en toile de fond, il y a une interrogation sur les différences de classe. Et leur lutte.
La Grande Illusion se situe dans les coulisses de la guerre. L’action se passe durant la Première Guerre mondiale. Deux soldats français sont faits prisonniers par le commandant von Rauffenstein, un Allemand raffiné et respectueux. Conduits dans un camp de prisonniers, ils aident leurs compagnons de chambrée à creuser un tunnel secret. Mais à la veille de leur évasion, les détenus sont transférés. Ils sont finalement emmenés dans une forteresse de haute sécurité dirigée par von Rauffenstein. Celui-ci traite les prisonniers avec courtoisie, se liant même d’amitié avec Boeldieu. Mais les officiers français préparent une nouvelle évasion.
L’idée du scénario, Jean Renoir l’aurait eu deux ans plus tôt alors qu’il tournait Toni : il avait rencontré le général Pinsard, qu’il avait connu pendant la Première Guerre mondiale. Alors pilote de chasse, celui-ci lui avait raconté ses souvenirs de captivité et d’évasions.
Malgré son scénario, Renoir a galéré pour trouver les finances nécessaires au tournage et c’est, grâce à la présence d’une star de l’époque au générique – Jean Gabin – que Raymond Blondy
accepte de produire le film. Compagnon de route du Parti communiste, Jean Renoir réussit par ce film d’une grande subtilité à parler autrement de la lutte des classes. Ainsi, il y a moins de différences entre deux officiers de cavalerie, l’un français et l’autre allemand, qu’entre deux militaires issus de milieux différents. À cet égard, Jean Gabin incarne à merveille un gradé venu du peuple. Et aussi bien Pierre Fresnay qu’Eric Von Stroheim (avec l’idée de génie qu’il portât une minerve), éblouissants l’un l’autre, parviennent, par leurs postures comme par leurs comportements, à montrer la complicité de leur classe. Il suffit de se souvenir de la cérémonie des gants blancs : l’ordonnance de von Rauffenstein lui annonce qu’il n’en a plus que deux paires, « commandées à Paris) quand Boeldieu lave minutieusement les siens, demandant au lieutenant Maréchal de l’aider à les rincer.
Il y a par ailleurs dans ce film aux accent choral au début, des moments d’anthologie où les acteurs de second plan font merveille. Outre Marcel Dalio, toujours au diapason, Julien Carette campe l’artiste et titi parisien et sa prestation sur scène pour la fête du camp reste une séquence forte du film et ce, d’autant plus que son tour de chant est interrompu par une Marseillaise patriotique à
l’annonce de la reprise du fort de Douaumont. Enfin, il y a le moment clé du concert de flûte avec l’ultime solo de Boeldieu sur les remparts de la forteresse où il « nargue » par fidélité à ses hommes von Rauffenstein qui doit suivre les ordres…
Dialogues ciselées, mise en scène subtiles et nerveuses et acteurs – petits et grands – qui jouent une partition parfaire : La Grande Illusion demeure comme un moment miraculeux de cinéma. Quand le film sortit aux États-Unis, et comme on l’avait parfois taxé d’être un opus antimilitariste, Jean Renoir déclara : « Parce que je suis pacifiste, j’ai réalisé La Grande illusion. Pour moi, un vrai pacifiste, c’est un Français, un Américain, un Allemand authentique ». En tout cas, si le mot chef d’œuvre à un sens, il s’applique à ce film !

Je suis de l’avis de Renoir, et du vôtre aussi, « la Grande Illusion » est un film magnifique, que « tous les démocrates du monde devraient voir », pour reprendre les termes du président Roosevelt.