LES PRÉMICES D’UN GÉNOCIDE

NOTRE-DAME DU NIL, de Atiq Rahimi – 1h34

avec Amanda Mugabezaki, Albina Kirenga, Malaika Uwamohoro

Sortie : mercredi 5 février 2020

Mon avis : 4 sur 5

Le pitch ?

Rwanda, 1973. Dans le prestigieux institut catholique « Notre-Dame du Nil », perché sur une colline, des jeunes filles rwandaises étudient pour devenir l’élite du pays. En passe d’obtenir leur diplôme, elles partagent le même dortoir, les mêmes rêves, les mêmes problématiques d’adolescentes. Mais aux quatre coins du pays comme au sein de l’école grondent des antagonismes profonds, qui changeront à jamais le destin de ces jeunes filles et de tout le pays.

Et alors ?

On a tous en mémoire le souvenir du  génocide rwandais de 1994. Pour son troisième film, Atiq Rahimi a choisi de l’aborder en adaptant le roman éponyme de Scholastique Mukasonga qui a reçu le Prix Renaudot en 2012. Pour le cinéaste né en Afghanistan, tourner cette histoire a une résonance singulière. Le réalisateur commente : « Ce drame se mêlait inévitablement dans mon esprit avec la guerre de mon pays d’origine, l’Afghanistan, commencée deux ans plus tôt. Là-aussi, tout a débuté sur le terrain politique pour se resserrer autour des questions d’ethnies, de races, voire de religion… À cette époque je venais de perdre mon frère, tué pendant la guerre. Êclate également la guerre civile en Yougoslavie. La période était particulièrement violente. Le mutisme du monde entier face à ces trois tragédies m’a horrifié. Bref, depuis cette époque, j’ai toujours voulu aller en Afrique noire et précisément au Rwanda qui, tel un miroir, invite l’humanité à s’y contempler, à y ressentir ses blessures, et à s’y reconnaître dans ses horreurs, et douceurs. »

Plongeant son scénario dans le rapport entre le sacré la violence, Atiq Rahimi montre bien, dans le huit-clos de cette institut religieux, comment le génocide des Tutsi n’a pas surgi sans prémices, que ce soit avec le renversement de la monarchie par le clan Hutu en 1959 et, plus proche de nous, par la chasse des élites et des intellectuels en 1973.Petit à petit, Atiq Rahimi décrit bien comment la violence s’insinue peu à peu dans la vie de ce pensionnat catholique entre les jeunes filles issues de la bourgeoisie du Rwanda. Et comment les descendants des coloniaux – l’étrange personnage campé par Pascal Greggory- s’imaginent un pays de rêve, à travers une espèce de théâtre d’ombres.

Jouant en permanence entre la réalité et une rêverie certaine – avec ce regard posé sur la beauté de  pensionnaires au profil de statue – Notre-Dame du Nil est divisé en quatre cercles, un découpage rajouté par le cinéaste par rapport au texte d’origine comme autant d’actes dans ce théâtre de la cruauté. Face à toutes ces pensionnaires – remarquablement campée après un casting compliqué dans un pays où il n’y a pas de vrais acteurs professionnels -il y a la figure énigmatique du colon français, Monsieur de Fontenaille, auquel Pascal Greggory prête sa diction singulière aussi douce qu’inquiétante.  Commentaires d’Atiq Rahimi : « Monsieur de Fontenaille fait partie de ces blancs qui recherchent l’authenticité d’un peuple, pour en faire un mythe fondateur. Il est sans doute sincère lorsqu’il dit ça, ses intentions semblent bonnes, sauf qu’il est en train d’alimenter une légende sur laquelle sera fondé le génocide. »

Un film fort qui montre bien comment la pratique du bouc émissaire peut conduite à de vrais déchainements de violence, même pour des motifs aussi fous que la taille… d’un nez.

 

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