(Sic Transit) GLORIA MUNDI, de Robert Guédiguian – 1h47
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaïse Demoustier, Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-RInguet
Sortie : mercredi 27 novembre 2019
Mon avis : 5 sur 5
Le pitch ?
Daniel sort de prison où il était incarcéré depuis de longues années et retourne à Marseille. Sylvie, son ex-femme, l’a prévenu qu’il était grand-père : leur fille Mathilda vient de donner naissance à une petite Gloria. Le temps a passé, chacun a fait ou refait sa vie…
En venant à la rencontre du bébé, Daniel découvre une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Quand un coup du sort fait voler en éclat ce fragile équilibre, Daniel, qui n’a plus rien à perdre, va tout tenter pour les aider.
Pourquoi y courir ?
Le prix d’Ariane Ascaride. L’attribution du trophée de la meilleure actrice à Ariane Ascaride à la Mostra de Venise, et ses déclarations « concernées » sur l’état du monde et les immigrés perdus en Méditerranée a indéniablement marqué les esprits. Si la comédienne mérite amplement un tel prix, tant elle joue sur un palette d’une grande sensibilité, notamment dans la séquence où elle « avoue » ce que fut sa vie quand Daniel est parti en taule, la distribution du nouveau Guédiguian est d’une grande richess. Entre la vieille bande – en taiseux sensible, Gérard Meylan fait une composition magnifique, notamment dans la scène de bain en face du Mucem – et la jeune génération qui, petit à petit, a gagné la fine équipe des débuts – on a le sentiment qu’une Anaïs Demoustier est presque « née » avec le cinéma du réalisateur – l’alchimie est là et ce petit monde sait mener une histoire à un joli rythme et porter des dialogues naturalistes avec conviction.

Le monde selon Guédiguian. Pour expliquer ce nouveau scénario, il explique : « Pour paraphraser Marx, partout où le néocapitalisme règne, il a foulé aux pieds les relations fraternelles, conviviales et solidaires pour ne laisser subsister d’autre lien entre les hommes que le froid intérêt, le dur argent comptant. Il a noyé tous nos rêves dans les eaux glacées du calcul égoïste. Voilà ce que ce film noir veut signifier à travers l’histoire d’une famille recomposée aussi fragile qu’un château de cartes. »
Par ce récit d’une famille qui tente de ne pas céder au découragement, alors que bien des voyants sont au rouge, Guédiguian montre que si l’époque voit le triomphe – on espère passager – des égoïsme et du chacun-pour-soi dans une course au fric, certains refusent de courber l’échine. Quitte à en payer le prix comptant.
À cet égard, Ariane Ascaride campe avec justesse cette femme revenu de bien des illusions, mais qui conserve la tête haute et lutte pour préserver le bonheur des siens avec son nouveau compagnon (Jean-Pierre Darroussin). Ils sont peut-être des gens dits « humbles », mais, s’ils n’ont plus les moyens de faire grève, ils refusent de subir cette société libérale. Si parfois les films de Guédiguian n’évitaient pas certains raccourcis, certaines invraisemblances, Gloria Mundi est le parfait aboutissement de la réflexion politique du cinéaste . Sur un thème qui rappelle son meilleur film à ce jour – À la vie, à la mort, en 1995- le cinéaste de l’Estaque signe une œuvre de combat et de rêves de jour moins gris. Quitte à ce que Daniel accepte de se sacrifier pour la survie du clan.

Une réalisation en parfait équilibre. Jouant sur des dialogues justes de bout en bout – il a le sens de la formule qui touche comme lorsque Richard prétend que mettre une goutte de champagne dans une poche, ça fait « venir l’argent« – Robert Guédiguian a su doser à merveille passages choraux et scènes plus intimistes.
Le couple cynique formée par Grégoire Leprince-Ringuet et Lola Naymark qui ne vit que pour le pognon, la coke et le sexe donne ainsi lieu à des échanges où toute la cruauté du monde actuel éclate au grand jour. Par opposition celui formé par Anaïs Demoustier et Robinson Stévenin – des vrais perdants de
la mondialisation – permet des moments d’une grande désillusion même si l’amour peut parfois donner un bonheur apparent.
Quant à Marseille, la ville qui a servi de décor à la plupart de ces films, Guediguian en montre un autre visage médiatique, celui du rêve d’une ville touristique avec les commerces flambants neufs des Terrasses du port. Hier, c’était l’économie maritime d’une ville qui y régnait; aujourd’hui, ce sont les grandes marques qui tiennent le haut du pavé et font rêver les pauvres venant regarder derrière les vitres de ces enseignes prestigieuse une rade où le fret n’est plus qu’une histoire ancienne et où n’approchent que les paquebots, usines à touristes et pourvoyeurs d’une pollution lourde. Ou quand le tourisme vient pallier – mais pour combien de temps ? – la production industrielle.
S’ouvrant par une très surprenante et belle scène d’accouchement, le nouveau Guédiguian, politique et poétique, prend date dans notre triste époque en nous donnant à rêver à la naissance d’une autre société… . Si Guédiguian a sans doute perdu quelques illusions, il montre par ce cri d’alarme cinématographique que la lutte doit continuer face à un monde qui n’a plus rien d’humain…


