PORTRAIT D’UN REPORTER ENGAGÉ

SYMPATHIE POUR LE DIABLE, de Guillaume de Fontenay – 1h40

Avec Niels Schneider, Ella Rumpf, Vincent Rottiers

Sortie : mercredi 27 novembre 2019

Mon avis : 4 sur 5

Le pitch ?

Sarajevo, novembre 92, sept mois après le début du siège. Paul Marchand, journaliste, tente de témoigner d’une guerre fratricide, du quotidien des 400 000 habitants pris en otages par les troupes serbes sous le regard impassible de la communauté internationale. Provocant il inscrit sur sa voiture les fameux « MORITURI TE SALUTANT » et « DON’T WASTE YOUR BULLET I’M IMMORTAL ».

Ce qui touche dans le film ?

Avec une mise en scène rythmée et une caméra mobile, Guillaume de Fontenay plonge le spectateur plus de décennies en arrière au cœur de la guerre qui ensanglanta la ville de Sarajevo, malgré la présence des forces de la communauté internationale. En suivant le parcours d’un reporter fougueux tel que Paul Marchand, un journaliste qui fut toujours sur la brèche, le cinéaste retrace la vie quotidienne dans un Sarajevo qui tente de survivre malgré les tirs de snipers et les incessants bombardements. Le cinéaste explique : « Je n’ai pas voulu embellir la guerre, j’ai refusé de tourner en 16/9 ou en 2/35. En 4/3, l’image a le cadre des caméras télés de l’époque, elle est plus brutale, plus claustrophobique. J’ai voulu rendre le film le plus sensoriel et le plus immersif possible, à la fois radical et humain. La lumière est désaturée, parce que c’est la lumière de Sarajevo en hiver : de la brume et peu de couleurs. Je voulais un film à la fois cru et pudique, je n’ai pas insisté sur le sang qui coule, mais le film est violent quand il le faut. Tout est filmé caméra à l’épaule, dans le sillage de Paul, sans champs-contrechamps classiques. »

Niels Schneider s’est glissé avec aisance dans la peau de ce baroudeur qui conduit à tombeau ouvert dans la capitale bosniaque, n’hésite pas à aider les secours et qui parle haut et fort, même si les officiers de l’ONU tente de le faire taire ou que sa rédaction en chef lui intime la prudence. Une des séquences les plus « parlantes » du film est à cet égard celui où Paul Marchand, venu comme d’autres journalistes donner son sang, « recadre » une confrère de CNN à laquelle il reproche de verser dans le sensationnel gratuit et de jouer à la journaliste vedette. Sa prestation a valu à Niels Schneider deux prix mérités d’interprétation : l’un au Festival de Saint-Jean-de-Luz; l’autre au Waterloo Festival 2019.


Côté générique, il est bien entouré, tant par Ella Rumpf – elle joue la jeune serbe qui est son fixeur et sa traductrice –  que par Vincent Rottiers, campant un reporter photographe qui approche aussi au plus près des conflits en prenant bien des risques.

Avec une telle sensibilité à fleur de peau, le reporter n’a guère le choix que de s’engager dans le conflit et sortir de la sacro-sainte objectivité. Il va prendre alors parti pour ce qu’il croit juste défendant aussi bien l’oncle serbe de son amoureuse que les résistants bosniaques. Il écrivait alors : « Dans le souffle chaud des explosions, dans l’odeur solennelle du sang et de la poudre, j’étais enfin chez moi. Chaque matin j’appareillais vers la mort dans mon voyage de destruction. Journaliste, je devais raconter avec des mots de ruines, dans une langue inachevée, que les guerres ne sont rien d’autre qu’un peu de bruit sur beaucoup de silence, un fracas passager quand le silence devient trop insupportable… Un rêve de monde meilleur, même si le rêve est obscène et turbulent.  »

En adaptant le livre du défunt journaliste – il s’est suicidé en 2009 – l’écrivain québecois Guillaume Vigneault redonne vie à un reporter d’envergure qui dut quitter Sarajevo en 1993 après avoir été grièvement blessé au bras. En suivant cette homme, un funambule sur un terrain de guerre, le film montre bien comment, pour témoigner avec le plus de vérité possible, un reporter doit prendre tous les risques. Ainsi quand il se rend dans un nid de snipers pour comprendre leurs motivations. On mesure aussi à quel point la communauté internationale fit preuve d’une grande lâcheté dans une telle guerre. Comme le rappelle l’affiche du film, Marchand avait une maxime de vie : « Un journaliste doit être à l’endroit exact où lui interdit d’être. »

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