J’ACCUSE, de Roman Polanski – 2h12
Avec Jean Dujardin, Emmanuelle Seigner, Grégory Gadebois, Louis Garrel
Sortie : mercredi 13 novembre 2019
Mon avis : 4 sur 5
Le pitch ?
Pendant les douze années qu’elle dura, l’Affaire Dreyfus déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier. Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du XIXème siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées. A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus.
3 raisons d’y aller ?
Un angle des plus originaux. On a tous en tête des souvenirs de l’affaire Dreyfus, du célèbre pamphlet qui valut bien des ennuis judiciaires à Zola (certains biographes ont même dit que ce scandale lui coûta la vie). Toute l’originalité du nouveau Polanski, c’est d’aborder l’affaire par le biais du lieutenant-colonel Picquart (campé par Jean Dujardin,
impeccable dans l’uniforme). Dans la lignée d’un Chinatown, sous la forme d’un polar politique, Polanski suit cet officier aussi obstiné que bourru, antisémite au demeurant, et qui fait pourtant tout pour faire éclater la vérité, même si un tel combat contre la Grande Muette peut lui coûter sa place et même sa liberté. Autour de Dujardin, Polanski met un casting impeccable en marche : plusieurs sociétaires de la Comédie-française sont de l’aventure et aussi bien Gregory Gadebois – extraordinaire en officier sorti du rang et s’obstinant dans le mensonge – que Melvil Poupaud, Vincent Perez sont étonnants de vérité. Chacun des comédiens donnent une grande force au moindre dialogue.
Une mise en scène classique mais splendide. Précisions de la reconstitution – on sent que le moindre bouton de vareuse a été vérifié par l’équipe de Polanski – photographies magnifiques
de Pawel Edelman qui confèrent une atmosphère sépulcrale à cette justice militaire en marche; bande originale subtile d’Alexandre Desplat : tout concourt à faire de ce J’accuse, un grand film de Polanski. Même dans des séquences plus creuses, ce film qui dépeint toutes les facettes de la nature humaine tient toutes ses promesses. Et Polanski réussit à nous montrer une autre facette de l’affaire. Aussi bien dans les séquences de procès, nombreuses, que dans les moments d’action -l’agression dans la rue contre Picquart; le coup de revolver contre son avocat ou encore le duel, très réaliste, entre Picquart et Henry – la mise en scène a un vrai souffle et éclaire des rebondissements politico-judiciaires.
« L’Affaire » et « son » affaire ». De fait, l’onde de choc provoqué par les accusations d’un viol survenu en 1975, sur la personne de Valentine Monnier ne pouvait que brouiller les pistes trois jours avant la sortie d’un film si médiatisé. S’il n’y a aucun excuse possible à une agression sexuelle, il y a une grande hypocrisie à tenter de relire le film à l’aulne de cette nouvelle grave accusation. Sauf à jouer les moralistes d’un jour, force est de constater que bien des artistes n’ont pas toujours eu une attitude sans failles et moralement défendable. Mais, faut-il arrêter de lire Sade car sa vie privée fut scandaleuse ? Et Verlaine, Flaubert et tant d’autres n’ont pas toujours un parcours sans failles.
Si Roman Polanski a réellement commis de tels actes, c’est indéfendable. Pour autant, les réseaux sociaux ne sont pas la justice et le tribunal médiatique, souvent sans danger, n’est parfois pas ragoutant. Il faut savoir distinguer un film, même s’il traite d’une forme de persécution, de son auteur. Sauf à mélanger la critique d’une œuvre et un jugement moral qui est au demeurant tout à fait légitime. Le tribunal médiatique ressemble souvent de nos jours à un grand bal des hypocrites. C’est pour ces raisons que boycotter J’accuse n’est pas légitime.
