Avec Sorry We Missed You, sur les écrans le 23 octobre, Ken Loach s’attaque aux travailleurs pauvres ubérisés de la nouvelle mondialisation. Une voix toujours forte d’un cinéaste concerné.
Il aurait pu dormir sur ses lauriers, regarder dans le rétro cinquante ans d’une carrière marquée par deux Palmes d’or. Il avait même annoncé sa retraite. Pourtant Ken Loach, né en 1936, n’a pu résister à l’appel de ses convictions politiques. Avec Sorry We Missed You, il décrit une famille écrasée par le rouleau-compresseur de la nouvelle économie mondiale et du travail précaire. Dans ce drame politique, il suite le parcours de Ricky, Abby : avec leurs deux enfants, ils vivent à Newcastle et bossent dur. Alors qu’Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile, Ricky enchaîne les jobs mal payés. Pour tenter de devenir propriétaires de leur maison, ils saisissent une opportunité qui semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette et devenir chauffeur-livreur à son compte. C’était sans compter sur dérives de ce nouveau monde ubérisé…
L’idée du film est née sur le tournage de Moi, Daniel Blake, comme le raconte Ken Loach qui s’est alors aperçu de l’augmentation des travailleurs indépendants ou intérimaires. « C’est une nouvelle forme d’exploitation. Cette économie des petits boulots, comme on l’appelle, […] la main-d’oeuvre précaire, n’ont cessé d’être au cœur de mes discussions quotidiennes avec Paul Laverty (son scénariste fidèle, NDLR). » Pour autant, s’informer pour nourrir le scénario n’a pas été facile, tant les personnes concernées ont peur de témoigner par crainte de perdre un job. Et pénétrer dans les dépôts n’était pas non plus une partie de plaisir. Paul Laverty a récupéré pourtant des informations grâce à un homme qui travaillait dans un dépôt voisin de là où le film a été tourné. En centrant son film sur ce couple, sans faire intervenir un regard extérieur, comme celui d’un syndicaliste luttant contre ces nouvelles formes de production, Ken Loach (ci-dessous) veut montrer l’engrenage dans lequel les personnages sont pris : pauvreté financière, pauvreté relationnelle…
Cinéaste naturaliste, Ken Loach a choisi, une fois encore, de diriger des non-professionnels. Dans le dernier numéro de Politis, il explique : « L’objectif, c’est que le spectateur ait l’impression que l’histoire se d »roule en direct devant ses yeux. Alors comment faire pour que tout ait l’air spontané ? Quand j’ai démarré, à la télévision anglaise, on faisait une lecture du scénario avec tous les comédiens réunis, on répétait pendant deux semaines, puis on enregistrait. Mais je trouvais que les acteurs n’étaient pas justes. Ou, plus exactement, ils l’étaient au début quand ils découvraient le scénario, leurs répliques, mais ensuite cela se rigidifiait. C’est pourquoi j’ai changé de méthode. En effet, je ne donne plus le scénario à lire. Et je filme les scènes dans l’ordre chronologique de l’action. Les comédiens ont leurs répliques un jour ou deux avant la scène à tourner. Ainsi, ils découvrent l’histoire au jour le jour et s’interrogent sur ce qui va arriver à leur personnage. »
À une époque de repli sur soi et de fatalisme politique, la voix de Ken Loach reste plus que jamais à entendre pour mesurer ce qu’implique cette ubérisation forcée de la société à travers ce mélo social engagé.
