LE CINÉASTE QUI FILME PLUS VITE QUE SON OMBRE

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Rendez à Lelouch ce qui lui appartient ! Tel pourrait être le fil conducteur de Bruno Lavillatte, ancien professeur de philosophie et auteur au long cours, dans Lelouch (Claude) Retenez bien ce nom...(*). Une étude des tensions entre le cinéaste prolixe et des critiques en ayant souvent fait leur tête de turc.

Entre Claude Lelouch et les critiques, c’est une longue histoire faite souvent d’incompréhension et parfois de tacles pas toujours justifiés. Dans son essai bref, Lelouch (Claude) Retenez bien ce nom...(*), Bruno Lavillatte, en s’appuyant sur une documentation solide et de nombreux extraits d’interviews et de critiques, tente de percer l’origine de ce qu’il nomme un « désamour« .

De fait, à relire des extraits de critiques, on mesure à quel point certains journalistes ont été durs, parfois expéditifs, avec un cinéaste qui aime tourner vite pour capturer la vie, au sens le plus quotidien du terme. Bruno Lavillatte écrit ainsi : « Au fond, Lelouch filme la vie, non point sous la forme d’un concept abstrait, d’une idée salonarde d’apparat critique ou d’un appareillage technique dont le cinéma serait le pur instrument désincarné. Non, il filme la vie parce qu’il la connaît dans ses plus intimes recoins, d’une salle de ciné qui le planque à la cour de récré qui le libère en passant, plus tard, par ses amours qui l’emprisonnent ou le révèlent. » Sans doute faut-il voir dans le premier métier de Lelouch, celui de reporter cameraman ce goût pour saisir la vie…

À l’enterrement de Johnny Hallyday, à laquelle l’auteur ne fait au demeurant pas référence, certains ont critiqué Lelouch qui filmait certains plans avec son mobile devant l’église de la Madeleine à Paris. Comme un écho à une formule du cinéaste qui a dit : « Je suis un reporter de la vie. »

Pour tenter de percer les secrets de Claude Lelouch, l’auteur part alors des émotions et des impressions que ses films ont laissé sur lui, en divisant son essai en courts chapitres thématiques. Notamment ceux consacrés aux techniques du cinéma qui sont capitales pour appréhender l’ambition créatrice de Claude Lelouch. En premier lieu, il y a le choix du réalisateur de tourner caméra au poing, avec son fameux travelling à 360 degrés,  aidé en cela par les innovations techniques, telles que la steadycam. Et Bruno Lavillatte(ci-contre) de souligner : « Or, cette vision des choses passe par un outil technique : la caméra dont la fonction est double, celle d’obliger les acteurs au dévoilement et celle de piéger la révélation des nuances si chères à Lelouch qu’elles lui servent à définir son cinéma. »

Pour Lelouch, la caméra n’est pas un regard posé sur la vie qui passe à belle allure : elle est au cœur de l’action. Ce n’est pas pour rien qu’il est l’auteur de la formule en apparence iconoclaste lancée aux comédiens : « Cherchez le moment où vous oubliez que nous jouez. » Comme le souligne l’auteur, on peut penser que Lelouch signera un film tourné avec un simple mobile, en immersion complète dans la vie qui rugit, pressante. « Je voudrais que l’on puisse contempler les choses à la vitesse où on les fait dans la vie », a dit encore le réalisateur.

Le pianiste amateur de jazz qu’est Bruno Lavillatte ne pouvait pas ne pas consacrer un chapitre à la relation étroite entre Lelouch et la musique au cinéma. N’a-t-il pas lui-même souligné : « Les deux acteurs principaux de mes films : la caméra et la musique. » Une musique qui n’est pas « bruit de fond » mais partie prenante de la construction mentale d’un film. Et l’auteur de rappeler ce que disait Francis Lai sur la manière de Lelouch de travailler avec ses compositeurs de chevet  : « Sa méthode est simple : il part en week-end ou partout et il fait passer la musique dans sa voiture n’importe où… et au fur et à mesure il y a les images qui vont avec. A la fin, il sait exactement les endroits où il va monter sa musique. »

Dans cet essai qui réhabilite le cinéma de Lelouch et revient sur certaines critiques à l’emporte pièce, Bruno Lavillatte montre bien enfin comment – et c’est peut-être une des raisons du désamour avec la critique – Lelouch n’est pas venu au cinéma par la littérature mais plutôt par la technique même. Dès 1965, dans une émission télévisée, il disait avec un sens certain de la prémonition : « Ces gens-là (les jeunes réalisateurs) ont vu des images avant de connaître la littérature ; ils s’expriment davantage et beaucoup mieux avec des images (…) que ceux qui ont actuellement du cinéma dont le moyen d’expression n°1 a été, tout de même, la littérature. »

Cinéaste de rupture, hanté par le temps qui passe, Claude Lelouch apparaît in fine comme un cinéaste plus complexe que certains de ses films ne le laisse paraître. Et qui n’a pas facilité ses relations avec la critique par son sens certain de la formule. Ainsi quand il dit en 2011 sur TéléQuébec : « J’ai fait que des brouillons. Y a rien de plus beau qu’un brouillon. »

(*)Éditions Ocrée

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