Avoir 80 ans le jour où sort son vingtième film – Convoi exceptionnel, le 13 mars – ce n’est pas banal. Mais Bertrand Blier est tout sauf un cinéaste banal.
Avec Bertrand Blier, on sait qu’un scénario n’est jamais classique. Depuis Les Valseuses, film choc -et qui le reste – sorti en 1974, on connaît l’univers de ce cinéaste qui marie l’humour, souvent très noir, l’absurde et une philosophie sombre de la vie et des relations humaines. Avec Convoi exceptionnel, cet octogénaire sarcastique ne change pas de cap. L’histoire ? Celle d’un duo : un type qui va trop vite et un gros qui est trop lent. Foster rencontre Taupin. Le premier est en pardessus, le deuxième en guenilles. Tout cela serait banal si l’un des deux n’était en possession d’un scénario effrayant, le scénario de leur vie et de leur mort. Il suffit d’ouvrir les pages et de trembler…
Après Le Bruit des glaçons – qui remonte à neuf ans – et cette comédie noire sur le cancer, Blier évoque un thème qui resurgit de film en film comme une obsession : celui de la mort. Dans le dernier numéro de L’Obs – mais il a aussi évoqué cela dans Première – il souligne : « La mort, qui est une bonne copine dans certains de mes films, est le sujet numéro un. De quoi parler ? On ne va pas s’emmerder à raconter des histoires d’amour toute notre vie, non ? Le cinéma, c’est une histoire de fantômes. » Dans Convoi exceptionnel, il y a ainsi le meurtre d’un type, incontournable car c’est écrit dans le scénario.
Si Depardieu est un vieux compagnon de route, Blier dirige ici pour la première fois Christian Clavier, approché grâce à Catherine Frot. Il raconte : « Lors d’un dîner, Catherine Frot me dit qu’elle tourne Momo avec Christian Clavier. Je lui demande s’il n’est pas trop chiant sur le plateau. Elle me répond que non, bien au contraire. Je lui confie alors avoir très envie de travailler avec lui. Le lendemain,
elle s’empresse de le répéter à Clavier qui s’empresse à son tour de le répéter au producteur de Momo, Olivier Delbosc , qui m’appelle aussitôt pour organiser un rendez-vous. Et j’imagine immédiatement un truc pour Clavier et Depardieu. »
S’amusant – un clin d’œil à Godard entre autres ? – à raconter l’odyssée de personnages auxquels on donne parfois des pages de scénario, Blier s’est aperçu que le scénario est trop court et il a donc écrit le soir des scènes, notamment celles de la fin où il a même laissé – lui qui n’aime rien tant que les dialogues ciselés – une part d’improvisation. Il raconte : « Quand j’ai eu l’idée de cette inversion des personnages, l’un devenant riche, l’autre, pauvre, je tenais ma fin. Mais comme je l’ai eue en cours de tournage, je n’avais que des brouillons, rien de précis. La ligne directrice, c’était la bouffe. Ils devaient parler de foie gras (vu qu’ils en mangeaient), et embrayer. Gérard ne s’est pas fait prier : « Moi, ce que j’adore, c’est le poulet ». Comme il est très brillant quand il parle de bouffe, il donne sa recette et cela donne une fin de film… surprenante. »
Parvenant toujours à réunir un casting improbable – outre le duo, figurent au générique Sylvie Testud, Alex Lutz, Guy Marchand ou encore Audrey Dana- Bertrand Blier multiplie dans Convoi exceptionnel les clins d’œil à ce cinéma qui lui est cher et à son cinéma. Le caddie y revient comme objet symbole de la modernité (on se souvient de l’ouverture des Valseuses avec deux mecs avec cet objet sur le parking d’un hypermarché) . Et quand on entend la réplique « Quand un homme est fou de sa femme, il devient un assassin», c’est un écho lointain au personnage de Jean Carmet dans Buffet froid. Et Bertrand Blier de conclure : « Il y a tout de même onze morts dans Buffet froid ! Et pas que des femmes ! », déclare le réalisateur. « Le meurtre, c’est ce qu’il y a de plus beau au cinéma ! C’est quand même très plaisant de tuer des gens. C’est pourquoi on aime tant les polars. Dans la vie, c’est traumatisant. Au cinéma, ça soulage. »
Une chose est sûre : le cinéma de Blier vomit le tiède. Et le temps qui passe…
