LA CHUTE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN, de Denys Arcand – 2h09
Avec Alexandre Landry, Maripier Morin, Rémy Girard.
Sortie : mercredi 20 février 2019
Mon avis : 4 sur 5
Le pitch ?
À 36 ans, malgré un doctorat en philosophie, Pierre-Paul Daoust est chauffeur pour une compagnie de livraison. Un jour, il est témoin d’un vol à main armée qui tourne mal, faisant deux morts parmi les gangsters. Il se retrouve seul avec deux énormes sacs de sport bourrés de billets. Des millions de dollars. Le pouvoir irrésistible de l’argent va bousculer ses valeurs altruistes et mettre sur sa route une escort girl envoûtante, un ex-taulard perspicace et un avocat d’affaires roublard.
Entre comédie et policier. Jouant sur deux genres, Denys Arcand parvient à surprendre en trouvant une sorte de point final à sa trilogie après Le Déclin de l’Empire Américain et Les Invasions Barbares. Après le sexe et la mort, il est ici question du fric, plus exactement du règne du fric pas vraiment propre dans un univers mondialisé où la morale du plus riche tient lieu de ligne philosophique. Commentaires du cinéaste : « On ne sait jamais comment naissent les projets. Au
départ, je n’avais aucune intention d’entreprendre, encore moins de poursuivre une trilogie. À l’origine, La Chute de l’Empire américain s’appelait, d’ailleurs, Le Triomphe de l’argent – titre qui m’est apparu, en définitive, trop clair et trop réducteur. Au montage, j’ai eu l’idée de le relier à deux de mes films précédents, tant les points communs me paraissaient évidents. »
Filmé sur un tempo lent – peut-être parfois un peu trop – le film s’ouvre par un dialogue entre Pierre-Paul Daoust et sa future ex-compagne : « Si t’es si intelligent, pourquoi n’es-tu pas président d’une banque ? – C’est parce que je suis trop intelligent. L’intelligence est un handicap… » Tout au long du film, le chauffeur-livreur symbolise bien la rupture consommée en partie entre le monde des études et celui des affaires et Denys Arcand parvient à glisser de savoureuses références philosophiques très ironiques dans ce policier pas comme les autres.
Un casting solide. Au centre du film, il y a Rémy Girard, familier de l’univers de Denis Arcand : il jouait un professeur d’université dans Le Déclin de l’empire américain et Les Invasions barbares. Cette fois, si on le voit sur les bancs de l’université, c’est dans le rôle d’un taulard qui prend des cours juste avant sa sortie de prison avant de regagner le soir sa cellule. Une idée qui a été inspiré au cinéaste par un fait réel. « La femme d’un ami suivait des cours de marketing. Dans sa classe, au milieu de jeunes qui travaillaient tous sur ordinateur, elle a remarqué un homme aux cheveux poivre et sel qui, lui, notait tout par écrit. « Je connais ce type » s’est-elle dit. C’était, en fait, le chef d’une bande de motards criminels, célèbres au Canada, qui avait écopé de dix ans de prison. Il avait écrit au ministre de la Justice pour lui demander l’autorisation de se rendre à l’Ecole des Hautes études commerciales, ce qui lui avait été accordé. Il quittait, donc, chaque matin sa cellule et la regagnait en fin d’après-midi, après la classe. Ça m’a bigrement intéressé. »
Autre personnage clé du récit, l’escort girl, Aspasie (jouée avec conviction par la ravissante Maripier Morin) , qui vient bouleverser la vie de Pierre-Paul Daoust. Là encore, le cinéaste a puisé son inspiration dans un modèle réel. Lors du tournage d’un documentaire sur la visite de la reine d’Angleterre à Ottawa, il a croisé au bar d’un hôtel une jeune femme noir qui lui a expliqué les différences entre les règles du football américain et canadien. Il raconte : « Au cours de la conversation, elle m’a dit être escort de luxe et venir au Canada deux fois par an pour satisfaire ses clients : des politiciens de la droite la plus conservatrice, selon
elle. Des simili Donald Trump, en quelque sorte… C’était une personne hors du commun, d’une rare intelligence, qui m’a détaillé avec brio les nombreux et juteux investissements financiers qui allaient lui permettre de prendre une retraite bien méritée à quarante ans. Elle m’a donné un cours d’économie extraordinaire… »
Vision ironique de la société capitaliste – autre fidèle de Denys Arcand, Pierre Curzi campe un avocat d’affaires cynique à souhait – cette comédie policière évoque bien des thèmes qui gangrène le monde actuel. Et la courte séquence sur le blanchiment d’argent en dit long sur des pratiques courantes du capitalisme moderne. Joyeusement anar, cette comédie ne manque pas sa cible.

