MICHEL LEGRAND, « LA MOITIÉ DE DEMY »

Compositeur fameux de musiques de films, Michel Legrand vient de mourir. Il avait 86 ans et demeurera pour l’éternité cinématographique, LE complice de Jacques Demy.

Les hommages pleuvent depuis l’annonce de la mort de Michel Legrand. D’un caractère pas toujours facile, Michel Legrand restera déjà, selon sa propre définition, comme la « moitié de Demy« . Ce qui était aussi vrai pour le cinéaste, tant les partitions de Legrand ont accompagné  les images des Parapluies de Cherbourg, des Demoiselles de Rochefort ou de Peau d’âne. Il est vrai, le duo de perfectionniste avait trouvé, dans ces trois films, une alchimie rare qui a marqué plusieurs générations de cinéphiles.

Dans ses souvenirs, publiés il y a cinq ans, Rien n’est grave dans les aigus, le musicien – et à l’occasion chanteur – n’a pas toujours eu la plume tendre quand il s’agissait d’évoquer Claude Nougaro ou Maurice Chevalier, voire Henri Salvador. L’homme n’était pas d’une grande modestie.

Entre 1946 et 1951, Michel Legrand fut  l’élève de Nadia Boulanger, la célèbre professeur qui a formé Gershwin, Barenboim, Gardiner, Copland, mais aussi  Vladimir Cosma ou Piazzolla… A son côté, il va apprendre la composition et l’orchestration, mais aussi la  vitesse et la rigueur.

Dans son autobiographie, on découvrait aussi certaines blessures profondes de l’artiste, fils d’un musicien qui fut aussi proche de la collaboration :  chef d’orchestre de variétés, compositeur de musique de film (pour André Cayatte, Marcel Pagnol ou Henri Verneuil, entre autres),  beau-frère de Jacques Hélian, Raymond Legrand continua sa carrière après-guerre après avoir été adoubé comme résistant de la dernière heure.Si le jeune homme se trouva des pères de substitution, il travailla quand même avec le sien dans les années 50. Michel Legrand sauva parfois le père pas très bosseur. Ainsi quand il dut improviser devant Tino Rossi pour un film de Cayatte, alors que le paternel n’avait pas écrit la moindre note. Il écrit : « Ah, j’ai oublié de te dire : je n’ai rien écrit. » Il voit que je m’étrangle et cherche à me rassurer par un grand « ne t’inquiète pas ! » – phrase qui depuis produit sur moi l’effet contraire. Et il m’annonce son plan : « Je vais leur raconter l’intention de la chanson, sa signification dans l’histoire et hop, tu joues ! – Je joue quoi ? – Un truc dans l’esprit de ce que j’aurai raconté. » Moi, inquiet : « Et s’ils me demandent de rejouer la mélodie, j’en serai incapable ! – Pas de panique, je ferai diversion… »»  Avec Jacques Demy, ce fut une affaire de famille, car les deux artistes passaient aussi des vacances ensemble dans une atmosphère qui était tout sauf mélancolique, comme l’a souvent raconté Agnès Varda.

Loin des plateaux de cinéma, Michel Legrand, compositeur inspiré, était aussi un jazzman. Avec Marilyn et Alan Bergman, des amis proches, sera aussi marqué à vie par un tube en version anglaise : The Windmills of Your Mind (Les Moulins de mon cœur, en VF) en 1970. C’est au demeurant à cette époque que Legrand plongea dans une dépression profonde.

Il y a aussi sur Legrand jazz, en 1958, un grand nom qui figure et joue de la trompette : Miles Davis, au départ pas enchanté du contrat. Plus tard, il lui demandera pourtant de composer avec lui la musique originale de Dingo, de Rolf de Heer. En parlant de Miles Davis, Michel Legrand se souvenait d’un artiste «délicieux, impliqué, perfectionniste».

Une chose est sûre : en plus de cinquante ans de carrière, Michel Legrand a marqué le grand écran et nos mémoires. « C’était une personnalité tellement optimiste, avec une sorte de naïveté dans l’optimisme, il voyait tout en rose », a confié le compositeur français d’origine roumaine Vladimir Cosma. « Je le connaissais avant même de venir vivre en France, il faisait vraiment partie des personnalités et des musiciens que j’ai voulu rencontrer en arrivant à Paris« , a ajouté celui qui signa, entre autres, les musiques de Rabbi Jacob et de L’As des as.

Outre trois Oscars, Michel Legrand avait  empoché cinq Grammys et composé pour des orchestres, pour le jazz ou encore le cinéma. « Je pouvais passer trois nuits d’affilée à écrire, sans aucune difficulté »,écrivit-il encore dans son autobiographie.

(*) Éditions Le Cherche-Midi

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