
SILVIO ET LES AUTRES, de Paolo Sorrentino – 2h31
Avec Toni Servillo, Elena Sofia Ricci, Riccardo Scamarcio, Kasia Smutniak
Sortie : mercredi 31 octobre 2018
Mon avis : 4 sur 5
Le pitch ?
Il a habité nos imaginaires par la puissance de son empire médiatique, son ascension fulgurante et sa capacité à survivre aux revers politiques et aux déboires judiciaires. Il a incarné pendant vingt ans le laboratoire de l’Europe et le triomphe absolu du modèle libéral après la chute du communisme. Entre déclin et intimité impossible, Silvio Berlusconi incarne une époque qui se cherche, désespérée d’être vide.
3 raisons d’y aller ?
Une vision acide de la société italienne. Fidèle à sa manière de mêler fiction et réalité en faisant écho à des personnages bien réels et à des évènements qui se sont bel et bien produits, Paolo Sorrentino s’est inspiré de la vie publique et privée de Silvio Berlusconi pour signer une comédie ironique sur la politique de la Péninsule et de la « combinazione ». Ainsi, par une série de courtes rencontres, il montre comment Berlusconi a su
retourner des majorités politiques, en faisant indirectement référence à l’affaire du sénateur et ancien journaliste De Gregorio en 2006. Entouré de bimbos dans sa magnifique maison de Sardaigne où il n’hésite jamais, comme l’original, à pousser la chansonnette, « son » Silvio fait montre d’un cynisme permanent, comme le prouve l’extraordinaire séquence de l’Aquila, lors du terrible tremblement de terre de 2009, où Il « Cavaliere » a fait son numéro de charme, promettant une reconstruction rapide qui, dix ans plus tard, n’en est qu’à une ébauche. Symboliquement, il y a pourtant le sourire de cette vieille dame auquel « Silvio » offre, en guise de bienvenue dans son nouvel appartement, le dentier qu’elle avait perdu durant le séisme.Une mise en scène baroque et drôle. Toujours fidèle à son esprit fellinien, Paolo Sorrentino signe ici une réalisation ambitieuse au service d’une histoire qui nous plonge dans le théâtre burlesque de la politique italienne. Autant dans les séquences plus intimes où la caméra suit au plus près Toni

Servillo que dans les grandes scènes de fête, où la cocaïne fait partie du cocktail de base, le réalisateur entraîne le spectateur dans un tourbillon d’images avec des plans magnifiques que ce soit ceux saisis autour de la piscine dans un déluge de décibels que celui où Silvio rêve au milieu de sa cage à papillons et qui est proprement surréaliste. Il fallait cette folie-là pour restituer la démesure d’un leader politique qui a fait de sa vie une vraie fiction. Paolo Sorrentino note : « Il a toujours su se raconter infatigablement : il n’est de meilleur exemple que le roman-photo intitulé Una Storia italiana qu’il envoya à tous les italiens en 2001. C’est aussi ce qui a fait de lui un symbole inévitablement. Un symbole, à la différence d’un être humain ordinaire, appartient à tout le monde. »
Le choc Servillo. Comédien fétiche de Paolo Sorrentino – comme Mastroianni fut celui de Fellini – Toni Servillo fait ici une composition bluffante de l’homme politique, sans jouer la copie pure et simple. Après Il Divo, sur Giulio Andreotti, autre figure plus que trouble de la politique italienne, Servillo parvient à exprimer toutes les facettes d’un personnage double : en apparence très

extraverti, l’homme encaisse les coups en silence, laissant parfois surgir une émotion sur son visage. Ainsi quand il avoue à un de ses proches comment l’odeur qui dérangeait une des bimbos à lui présentée était celle de la colle à dentier, « l’odeur de son grand-père ».
Pour camper un acteur comme Berlusconi, il fallait un comédien capable de jouer sur tous les registres. Il le reconnaît d’ailleurs : « Avec le personnage de Berlusconi, j’ai dû me mesurer à un acteur politique qui agit de manière extravertie, qui met au centre de la scène son propre corps, son totem, un homme qui entre sur la scène politique avec une stratégie d’acteur précise. » Au cœur d’une distribution solide – de Elena Sofia Ricci à Riccardo Scamarcio, en Rastignac de la drogue, à Kasia Smutniak – Toni Servillo est parfait de bout en bout.
En attaquant Berlusconi par là où il vit – le grand spectacle – Paolo Sorrentino réussit une farce politique réjouissante, réussissant son coup magnifiquement là où, dans Caïman, Nanni Moretti était un peu passé à côté du modèle dans une charge politique trop sage…
Un ami à la baguette
C’est Lele Marchitelli, fidèle collaborateur de Sorrentino, qui signe la musique originale du nouveau Sorrentino. Cette fois, le compositeur a mêlé des balades lentes comme The Spanish, ou Vulcano), à un tempo de disco-dance (Arabian Party ), sans oublier quelques détours électroniques et expérimentaux (I Walk Away, The Real Truth). Tout cela pour suivre les personnages dans leurs différentes et nombreuses variations. On y trouve enfin une compilation de titres qui va des chansons napolitaines célèbres (Scetate chanté par Sergio Bruni), à des tubes pop et rock comme signées des Stooges, The Noisettes ou encore Agnes Obel.
(*) Disque Milan
