CE THÉÂTRE ABSURDE DE LA GUERRE

DONBASS, de Sergei Loznitsa –

Avec Boris Kamorzin, Valeriu Andriutã

Sortie : mercredi 26 septembre 2018

Mon avis : 5 sur 5

Le pitch ?

Dans le Donbass, région de l’est de l’Ukraine, une guerre hybride mêle conflit armé ouvert, crimes et saccages perpétrés par des gangs séparatistes. Dans le Donbass, la guerre s’appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l’amour. Un périple à travers le Donbass, un monde perdu dans les fausses rumeurs, c’est un enchainement d’aventures folles, dans lesquelles le grotesque et le tragique se mêlent comme la vie et la mort.

Pourquoi ce film  bouleverse ?

Portant le nom du  Donbass, une région de l’est de l’Ukraine où se déroule l’action et qui est occupé par plusieurs groupes militaires et autres gangs, le film de Sergei Loznitsa nous plonge dans un conflit oublié entre l’armée ukrainienne, soutenue par des volontaires, et les gangs séparatistes soutenus par les troupes russes. Un effondrement politique qui est né en 2014 de la fin de l’ancienne URSS et qui a écartelé le pays entre deux modèles : l’un tentant d’imiter celui d’autres pays européens, l’autre revenant à l’ancien système soviétique. Le réalisateur explique : « Ces deux possibilités sont totalement incompatibles ou plutôt, elles s’excluent mutuellement. Les Ukrainiens, dans leur écrasante majorité, ont choisi le modèle européen alors que la Russie s’est rapidement redirigée vers un modèle soviétique.Il faut garder en tête que le Donbass est une région industrielle qui s’est développée pendant la première moitié du XXème siècle en employant des travailleurs qui n’étaient pas payés : les prisonniers du goulag. Leurs descendants se sont installés dans la région et ont fondé une étrange communauté autour des usines et dans les baraques des camps. Ces dernières années, surtout sous l’ancien président Viktor Ianoukovytch qui était originaire du Donbass, la région s’est considérablement criminalisée. »

En treize tableaux mettant en scène différents protagonistes, tel un peintre du monde moderne, Sergei Loznitsa décrit une société qui se désagrège et dans laquelle l’agressivité, le sentiment de déclin domine. D’une  incroyable cérémonie de mariage très arrosée  – on se croirait dans une comédie italienne – au contrôle d’un journaliste allemand à un checkpoint où des soldats d’une bande l’agressent verbalement, Donbass donne à voir le quotidien d’une population qui vit – ou plutôt survit –  au jour le jour.Non un humour, souvent teinté de noir, Loznitsa décrit une réalité en forme de cauchemar où la population se terre dans des caves glaciales et suintantes d’humidité. Et, comme sur une scène d’un -macabre – théâtre, cette descente au cœur d’un enfer quotidien s’ouvre et se termine par une séquence de tournage où des comédiens sont maquillés dans une loge et se disputent pour un rien alors qu’ils sont au bord du précipice, comme la scène finale du film le raconte.

Dépassant la simple frontière entre le bien et le mal, ce film habilement politique et d’un désespoir noir est une claque visuelle et, sans que l’on ne sache plus si l’on est dans une fiction ou dans un documentaire, il met à nu une certaine âme slave dans ce périple au milieu d’une humanité si peu reluisante. Avec, au cœur du film, la terrible séquence de passage à tabac d’un milicien, où le cinéaste montre les ravages du grégaire dans un monde qui se délite et où s’en prendre à plus misérable que soi devient une manière de se croire au-dessus de la mêlée.

Faisant l’ouverture de la section Un Certain Regard au festival de Cannes 2018 , ce film bouleversant y a reçu le Prix de la Mise en scène. Une histoire qui mêle une comédie absurde à une tragédie qui ne l’est pas moins… Dans un continent qui bruisse, dans bien des endroits, de rumeurs guerrières fratricides.

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