La publication en format de poche de Molière chef de troupe (*) permet de retrouver l’approche inédite et vivante que fait du créateur du Misanthrope un Francis Perrin bien inspiré.
Molière n’est pas que l’auteur qui a nourri les livres de classe et qui fut prétexte à bien des exercices scoalires. Le comédien et auteur reconnu a vécu neuf vies comme les chats dans une spirale d’hyperactivité. Et le mérite de Francis Perrin, un comédien et metteur en scène qui a joué bien des personnages du dramaturge – de Scapin à Sganarelle en passant par
Alceste – est de restituer Molière dans son époque et au cœur de sa troupe.
Dans ce livre – une réédition de la version originale paru en 2006 – porté par son amour des planches et des comédiens montre bien comment Molière a su créer malgré les coups de la vie et la nécessité de ne pas déplaire aux puissants, notamment au roi Louis XIV qui, s’il lui apporta son soutien et des subsides, le contraignit à se jouer de la censure. C’est notamment avec Tartuffe que l’auteur dut se battre pour parvenir à enfin jouer sa pièce. Une blessure qui marqua l’auteur à vie.
Enrichissant son récit de nombreux dialogues qui sonnent juste, Francis Perrin rapporte ainsi les propos du prince de Condé qui, devant l’étonnement de Molière de voir Scaramouche ermite donnée à la cour malgré un contenu assez licencieux, explique : « La raison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces Messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes : c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. »
L’autre atout de cette autobiographie originale, c’est de nous faire partager le quotidien de la troupe du maître, tour à tour, auteur, metteur
en scène, chef d’entreprise. Un meneur d’hommes et de femmes qui fut aussi un grand séducteur et dut composer avec les -nombreuses – femmes de sa vie, lui qui séduisit Armande Béjart et l’épousa, après avoir été l’amant passionné de sa grande sœur, Madeleine. Quitte à précipiter dans les bras d’un jeune dramaturge, Racine, son ancienne conquête, Marquise. Mais, il lui fallut sans cesse composer avec les tensions entre ses conquêtes. Francis Perrin écrit ainsi : « Madeleine n’a toujours pas pris son parti de ne plus être la maîtresse en titre. Elle tâche de faire bonne figure devant la troupe, et si une sorte de connivence enjouée semble refleurir entre les « deux sœurs », ses regards trahissent parfois une incontrôlable exaspération. »
Et puis, et l’on se souvient combien Molière s’attaque au corps médical et le railla, il y a l’évocation du mal qui finira par emporter l’auteur et le contraignit à subir les conseils de plusieurs médecins. Ainsi quand, jeune marié avec Armande, l’auteur travaille avec une énergie farouche, Francis Perrin décrit ainsi sa table de travail : « A côté, un pot de miel calme quelque temps cette toux dont la fréquence est devenue inquiétante et qui dérange grandement Armande, de plus en plus irritable à l’approche de son accouchement. »
Faisant surgir au gré des pages des compagnons de discussions et de libations du nom de Boileau, La Fontaine, évoquant la présence d’un Corneille que Molière aida autant que celui-ci le soutint, Francis Perrin fait revivre toute une époque dans ces pages vivantes et rythmées.
(*)Ed. Mon poche
