JEAN ZIEGLER, L’OPTIMISME DE LA VOLONTÉ, de Nicolas Wadimoff – 1h36
Documentaire
Sortie : mercredi 18 avril 2018
Mon avis : 3 sur 5
Le pitch ?
En 1964, Che Guevara demanda au jeune Jean Ziegler de rester en Suisse pour lutter depuis le « cerveau du Monstre capitaliste ». Par la suite, comme écrivain, professeur, député et collaborateur de Kofi Annan, l’homme n’a eu de cesse, à travers ses livres et ses discours, de fustiger les injustices, le pouvoir des oligarchies capitalistes et les responsables de la faim dans le monde. Aujourd’hui, les livres de cet indigné de 82 ans se vendent dans le monde entier et il se bat encore, au sein de l’ONU, pour honorer sa promesse au Che. Son retour à Cuba prend des allures de confrontation entre sa pensée et le destin de cette nation qu’il considère comme matrice des forces anticapitalistes. C’est un dialogue entre réalité et symbolisme : quel futur pour l’anticapitalisme ? Ziegler fait-il partie de vainqueurs ou des perdants face au « Monstre » ?
Et alors ?
Il y a deux moments émouvants dans ce documentaire consacré à l’indigné suisse permanent : celui où il se trouve devant la caisse contenant les restes du Che (ou la civière qui a transporté son corps après son exécution) dans le fort qui domine le port de La Havane qui abrita naguère le bureau du révolutionnaire devenu ministre et celui où, de retour dans sa Suisse natale, il se confie sur son incapacité à avoir sauter le pas plus jeune et à avoir suivi le Che en Bolivie. Comme si Jean Ziegler, malgré ses combats permanents contre l’injustice, malgré ses engagements pour lutter contre la faim
dans le monde, se sentait coupable d’avoir mené une vie familiale heureuse.
Au détour des séquences, ce doc est aussi un bel hommage rendu à sa compagne, Erica Deuber Ziegler, qui le suit dans l’ombre de tous ses engagements militants. Si cette professeure d’histoire de l’art et politicienne ne parle pas beaucoup, elle observe, réagit d’un sourire et dit parfois, de retour à Cuba, le mot juste – « la pénurie » – quand son homme se réfugie derrière la « poésie » d’une ville vierge de toute agression publicitaire. Comme si elle avait la capacité de le ramener sur terre.
Nicolas Wadimoff, qui fut son élève à l’université de Genève, dresse de son maître un portrait chaleureux en le suivant de sa maison suisse aux manifestations où cet orateur hors pair se rend infatigablement, emportant avec lui la Déclaration des droits de l’homme, «une arme pour l’insurrection».Depuis son enfance bourgeoise où le jeune Jean découvrit, révolté, le sort des orphelins suisses qui trimaient dur dans les fermes voisines, Jean Ziegler a fait des combats contre les oligarchies capitalistes son activité quotidienne. Même si ceux qui l’opposèrent aux banquiers suisses l’ont, à une époque, laissé ruiné. Alors il attaque les dirigeants du monde qui ne sont, à ses yeux, que « les laquais, les mercenaires des multinationales. »
S’il y a aujourd’hui quelques naïvetés dans sa fascination pour Cuba où Ziegler se promène comme un poisson dans l’eau – il défend ainsi l’absence de liberté de la presse pour ne pas laisser la propagande américaine se répandre dans le pays -on ne peut contester les engagements d’un homme qui a toujours fait passer son confort personnel derrière les causes qui lui semblent justes. Et qui continue de le faire comme rapporteur de l’ONU à un âge où bien des hommes préfèrent jouir de leur retraite. Lui préfère grimer à une tribune et conclure en citant Neruda – des photos du poète en compagnie de Salvador Allende, tout comme celle du Che sont placées derrière son bureau – qui écrivait : « Si nos ennemis cueillent toutes les fleurs, ils ne seront pas les maîtres du printemps. » (photo ci-dessus)
C’est la dimension humaine et fraternelle qui fait tout le sel de ce portrait d’un homme qui adore la vie mais regarde la mort aussi sans sourciller.
