SARA FORESTIER : PAROLES, PAROLES

M, de Sara Forestier – 1h38

Avec Sara Forestier, Redouanne Harjane, Jean-Pierre Léaud et Liv Andren

Sortie : mercredi 15 novembre 2017

À mon avis : 4 sur 5

Le pitch ?

Mo est beau, charismatique, et a le goût de l’adrénaline. Il fait des courses clandestines. Lorsqu’il rencontre Lila, jeune fille bègue et timide, c’est le coup de foudre. Il va immédiatement la prendre sous son aile. Mais Lila est loin d’imaginer que Mo porte un secret. Il ne sait pas lire.

2 raisons d’y aller ?

Un premier film très émouvant. Pour passer au long métrage, Sara Forestier a repris un projet qu’elle avait en tête depuis une quinzaine d’années, avant même L’Esquive qui allait la révéler. Elle raconte : « À cette époque, j’avais eu une histoire d’amour avec un garçon qui était assez impressionnant, plus vieux que moi, très animal et qui avait un ascendant sur moi au point de me fasciner. Après m’être séparée de lui, j’ai appris, par un de ses amis, qu’en fait il ne savait pas lire. Il me l’avait caché tout au long de la relation. Je ne m’en étais pas aperçue, et cette révélation m’a fait comme un choc. » Exploitant intelligemment le thème de la honte, elle a imaginé (l’écriture du scénario lui a pris huit ans) cette histoire d’un couple uni, in fine, par leur différence et ce handicap qui les prive d’une sociabilité « normale », comme le montrent les difficultés de Lila pour réussir au lycée alors même qu’elle est brillante à l’écrit. Retrouvant certains manières de filmer la société à la Chaplin, Sara Forestier a rajouté à la difficulté en mettant face à Mo une jeune femme qui est très touchée par le bégaiement.Même si la cinéaste a parfois eu du mal à trancher en éliminant certaines séquences – je pense aux plans beaux mais répétitifs d’une banlieue aussi anonyme que possible et dans lequel est planté, comme dans les comédies italiennes le bus échoué de Mo – elle réussit à nous faire partager les émotions (non dénuées de violence) des deux personnages principaux. Ou dans les séquences de course de voiture en forme de Loto des pauvres qui se tiennent dans des hangars perdus.

Un casting de choix. Pour jouer de tels personnages qui préfèrent ne pas vivre une situation s’ils doivent le faire en cachant, il fallait une distribution qui tienne le choc. Choisi dans un casting de 600 garçons (!), Redouanne Harjane a perdu vingt kilos pour rentrer dans le cuir du personnage et il parvient de manière surprenante à exprimer aussi bien les fêlures que la violence soudaine de Mo. À cet égard, la scène d’arrachage de la dent de lait est symbolique d’un homme capable de sautes d’humeur qui font peur. Commentaires de Sara Forestier : « Tout le film tient sur la véracité de cette souffrance, notamment par le fait que le dernier tiers est le moment où le film se révèle vraiment, se livre, prend sa réelle honnêteté… à partir de ce moment où Mo est acculé par cette souffrance et que l’autodestruction opère réellement, factuellement, sans fascination, dans une désacralisation du masochisme. » Il y a aussi la jeune Liv Andren, d’une justesse de jeu bluffante  de naturel pour une fillette et qui a un côté effronté, façon Zazie dans le métro…

Et puis, on ne peut qu’être étonné par Sara Forestier qui parvient à être très crédible dans le rôle de cette jeune femme qui souffre d’un terrible bégaiement. A l’origine prévu pour Adèle Exarchopoulos, celle-ci a dû renoncer car la réalisatrice a mis un an à trouver l’acteur pour camper le garçon et, son interprète étant retenue par un autre film,  c’est finalement Sara qui s’est jetée dans le vide. Elle raconte : « Pour préparer le rôle avec Adèle, je travaillais depuis des mois avec des bègues, je « pratiquais » le bégaiement, j’avais trouvé ma manière à moi de bégayer ce qui facilitait les choses pour reprendre le rôle un mois avant la date du tournage et puis j’avais une familiarité avec le personnage parce qu’en réalité il y a chez Lila quelque chose qui a trait à ma part la plus intime, ma fragilité la plus intime. Ma féminité est dans le personnage. Lorsque j’ai endossé le rôle, les choses se sont quelque part dénouées puisque quinze jours seulement après j’ai trouvé l’homme pour aller en face de moi dans le rôle de Mo. »

Pour ce long métrage, Sara Forestier n’a pas choisi la voie de la facilité : le résultat ne peut que forcer le respect. L’actrice est désormais aussi une réalisatrice qu’il faudra suivre.

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