C’est l’improbable rencontre du hip-hop et du cinéma de Bertrand Blier. Cabadzi x Blier, c’est un Ovni musical, ou les textes des chansons sont remaniés d’après les dialogues des grands films de Blier. Détonnant.
A l’origine, Cabadzi a vu le jour à Nantes entre cinq copains qui ont signé deux albums- Digère et Recrache en 2012 et Des angles et des épines en 2014- où ils mariaient la musique acoustique et les rythmes hip-hop. Cette fois, Cabadzi, désormais composé d’Olivier Garnier et Victorien Bitaudeau, a mis la barre à gauche toute en ayant une idée folle sur le papier mais qui a reçu le soutien du principal
intéressé, Bertrand Blier lui-même : mettre ses films en chansons…
En parant de certains dialogues écrits par le cinéaste – notamment ceux de Tenue de soirée, Trop belle pour toi, des Valseuses ou encore de Buffet froid – Cabadzi jouent la fusion entre le cinéma et la musique. Cabadzi n’a pas fait dans la demi-mesure : le morceau Fatiguée contient un sample de Georges Delerue, tiré de la musique originale de Hitler, connais pas, premier opus un brin oublié d’un Blier
débutant. Nous étions en 1963. Confidences de Bertrand Blier, qui joue si bien au bougon, à propos de ce projet : « Découvrir la musicalité de mes dialogues crée une confusion. C’est la première fois que je suis confronté à ça, à cause d’eux, ces deux malades ! »
Il est vrai, le résultat est tout sauf banal. Ainsi, une chanson comme Bouche fait vivre d’une autre façon, une scène-clé de Tenue de soirée, en 1986, avec Gérard Depardieu et Michel Blanc en pleine romance amoureuse. Et, sur des beats électro, cela donne : « Moi ta honte, j’la transforme en bonheur/J’en fais un bouquet d’fleurs/C’est ta bouche qui m’inspire, ta bouche et ton coeur/C’est ma bouche qui t’aspire, ma bouche et mon cœur« …
Venant d’amateur de cinéma, un album tout seul n’aurait pas suffi. Flanqué de Cyrille Dupont, le scénographe de Booba par exemple, Cabadzi a imaginé une vraie mise en scène. Et, en live, la prestation du groupe est accompagnée d’images et illustrations de Maxime Bruneel, du brésilien Adams Carvalho, qui se sont, eux-mêmes, inspirés des scènes de film de Blier. C’est le duo Sherkan qui a signé le clip de Undeuxtrois, où éclate la complicité de deux danseurs : Gabriel Um et Mackenzy Bergile. Deux artistes dont les influences vont de la danse hip-hop au jazz en passant par la danse contemporaine.
A l’écoute de cet album vitaminé, on retrouve un des traits de style de Blier dans l’art des dialogues : une écriture très rythmique, conçue comme une partition et qui se prête magnifiquement à un habillage musical. Une poésie brute, avec les mots de la rue qui résonnant particulièrement dans le montage voulu par Cabadzi.
Cet album montre aussi comment le cinéaste a toujours su imaginer des thèmes qui conservent une vraie actualité. Ainsi un scénario comme Tenue de soirée a de quoi faire toujours réfléchir à l’heure de la Manif pour tous et des litanies autour de la théorie du genre… A l’époque, Blier résumait ainsi son film: « Je dirais que c’est l’histoire d’un type qui est assis entre son copain et sa femme, dont il est fou. Quelqu’un lui tripote la braguette, ça l’excite, parce qu’il croit que c’est sa femme. Manque de pot, la main en question, c’est celle de son copain. »
En s’inspirant des mots hier mis en bouche par Patrick Dewaere, Gérard Depardieu ou Miou Miou, Cabadzi célèbre la ligne directrice de l’univers de Blier : la défense de la manière de vivre librement et de voir la vie différemment.
(*)L’Autre Distribution
