QUAND GODARD IRONISE SUR LE CINÉMA

GRANDEUR ET DÉCADENCE (D’UN PETIT COMMERCE DE CINÉMA), de Jean-Luc Godard – 1h32

Avec Jean-Pierre Léaud, Marie Valera, Jean-Pierre Mocky

Sortie : mercredi 4 octobre 2017

À mon avis : 3 sur 5

Le pitch ?

C’est l’histoire d’un tournage entre rêve et réalité. Côté rêves, il y a un metteur en scène : Gaspard Bazin qui prépare son film et fait des essais pour recruter des figurants. Côté usine, il y a Jean Almereyda, le producteur qui a eu son heure de gloire et qui a de plus en plus de mal à réunir des capitaux pour monter ses affaires. Entre eux, il y a Eurydice, la femme d’Almereyda, qui voudrait être actrice. Tandis qu’Almereyda cherche de l’argent pour boucler le financement du film, et cela au péril de sa vie – car l’argent qu’on lui promet n’a pas très bonne odeur, Gaspard fait des essais avec Eurydice.

Et alors ?

Inédit sur grand écran, ce film de Godard date de 1986 et est le fruit d’une commande de Pierre Grimblat qui avait mis en chantier, pour TF1, 37 films en hommage à la Série noire. Une collection  destinée au prime-time et diffusée entre 1984 et 1991. Contacté, Jean-Luc Godard avait choisi Chantons en chœur, roman de James Hadley Chase et, avec lui, il faut toujours s’attendre à bien des surprises : du texte initial, il ne reste ici que peu de choses. Godard disait d’ailleurs : « Ça s’est fait comme ça, en parlant avec les gens d’Hamster, la société qui produit cette série. J’ai dit « pourquoi pas ». Il fallait partir d’un roman, alors je suis parti d’un auteur que j’aimais bien, que je considérais avec respect, James Hadley Chase. Et le roman est resté derrière, on est arrivé ailleurs… »

On connaît les analyses aussi fines que provocatrices de Godard sur la télévision. Travaillant pour une chaîne juste avant qu’elle ne soit privatisée, ce qui provoquera un joli tollé,  il continue à questionner le milieu de l’image animée à travers ce récit minimaliste, tournée en peu de lieux et où les dialogues font souvent mouche. Ainsi quand un Jean-Pierre Léaud surexcité donne des cours d’essai à Eurydice (l’épouse d’Orphée dans la mythologie grecque).

Dans un film bricolé ici et là – la présence de Jean-Pierre Mocky renforce cette impression tant l’acteur-réalisateur est un maître du cinéma « low cost »  – Godard pose un regard ironique sur la petite lucarne. Pour expliquer son choix de faire tourner Mocky, il disait simplement  : «  Parce que nous avons un peu la même histoire : nous avons vécu et nous vivons la grandeur et décadence du cinéma à l’époque de la télé. » Avant de poursuivre par une phrase qui, aujourd’hui, garde une bonne résonance : « Le téléspectateur est otage mais il le veut bien. Du reste, on dit les chaînes. Dans mon film, on voit beaucoup de barreaux, on dit qu’on est dans la grille des programmes. »

Provocateur – la scène des essais d’une langueur monotone, comme un ballet dans un asile d’aliénésn est réjouissante – cet opus ressorti de l’oubli est un réjouissant pied-de-nez à l’industrie cinématographique et télévisuelle. Et encore, à l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas… Avec, en prime, une bande sonore solide – un trait habituel chez Godard – dans lequel Léonard Cohen répond à une partition de Bela Bartok. Original et déroutant en diable.

 

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