Actualisant la biographie déjà parue, la journaliste anglophone Marianne Gray célèbre la femme insoumise et libre que fut l’artiste dans Jeanne Moreau – Le Tourbillon d’une vie (1928-2017). Un travail solide, nourri d’interviews sans frontières, sur une artiste disparue en juillet dernier.
Ayant nourri son livre d’entretiens avec des proches de Jeanne Moreau, notamment Armelle Oberlin qui fut sa secrétaire particulière depuis 1987, mais aussi de rencontres régulières avec elle, Marianne Gray possède son sujet sur le bout des doigts et l’on sent, au fil de son récit, une admiration profonde pour une femme libre et qui a mené sa vie sans souci du qu’en-dira-t-on.
Si sa biographie n’évite pas toujours le piège de la chronologie rapide et qui rend la lecture parfois pesante, elle met en évidence des lignes force dans le caractère de Jeanne Moreau, notamment cette volonté de toujours avancer, quitte à se mettre en danger. Pour elle, l’idée de retraite semblait un gros mot. Ainsi, rétorqua t-elle vertement à l’auteure lors d’une interview : « Je n’ai pas de carrière, je ne suis pas une employée. Je ne travaille pas dans un bureau ni dans une société. Je suis une artiste et quand on est artiste, c’est jusqu’à la mort. Vous n’iriez certainement pas demander à un peintre : « Quand pensez-vous arrêter de peindre ? » C’est un don de Dieu et Dieu est trop généreux pour le reprendre – à moins que vous ne gâchiez tout. »
De fait, ni l’âge, ni la fatigue n’ont émoussé l’envie de Jeanne Moreau de se confronter à d’autres univers, de se lancer dans la réalisation et la production. Une femme de caractère et au fort tempérament dont on découvre au fil des pages le goût pour l’astrologie. Elle confiait à la journaliste : « Je crois que ce que j’aime le moins chez moi, c’est ma disposition naturelle à la profondeur. Le Verseau est un signe rigide, et il y a quelque chose de rigide en moi. C’est peut-être la présence de Saturne, en tout cas, il y a quelque chose de strict contre quoi je suis constamment obligée de lutter. Ce n’est pas que je n’aie pas d’humour. J’adore m’amuser. Mais je ne suis pas assez ludique. Je ne suis pas capable de jouer pour arriver à mes fins. »
Sans tomber dans l’hagiographie – on mesure au fil du récit combien Jeanne Moreau pouvait avoir un regard critique et lucide sur certains de ses films – Marianne Gray repasse le film de la vie d’une actrice
qui s’essaya aussi avec succès à la chanson -bien sûr sur des poèmes de Revzani mais aussi ceux du poète belge Norge, sous la houlette du grand découvreur de chanteurs des années 50, Jacques Canetti – et qui, à l’automne de sa vie, signa avec Etienne Daho, une version poignante du Condamné à mort, de Jean Genet. Un auteur maudit qui, tout comme Marguerite Duras, accompagna toute sa vie Jeanne Moreau, grande lectrice devant l’Éternel.
Femme forte, Jeanne Moreau était tout sauf imperméable à la vie et aux autres. Et avait connu des moments de spleen profond autour de la quarantaine. Son amie de toujours, Florence Malraux, se confie en ses termes : « Elle est très cyclothymique, comme tant d’acteurs. Elle est au plus haut ou au plus bas. Ils vivent comme ça, ils travaillent, puis ils sont entre deux projets. Sur un film, elle dépense une énergie considérable.
Ensuite, il faut qu’elle rentre chez elle et elle s’effondre. Si quelque chose ne va pas, elle a une réaction physique et il lui arrive de tomber malade pour de bon. C’est dans son corps qu’elle cache ses peurs. »
Au fil de ces pages où surgissent bien des artistes de renom – de Buñuel à Truffaut, de Welles à Cocteau, Renoir – on mesure à quel point Jeanne Moreau fut une source d’inspiration pour bon nombre de réalisateurs. Une femme qui, malgré un statut d’artiste reconnue, n’a jamais boudé les premiers films les plus audacieux, comme ce fut le cas avec le petit rôle, mais ô combien symbolique, de la taularde libérée dans Les Valseuses, en 1973. Et qui disait : « Je suis née avec un don pour la comédie. Je dois respecter ce don et ceux qui m’ont aidée à la développer. Le jour où je n’aurai plus cette énergie, je m’éteindrai… »
Jeanne Moreau, une femme et une actrice qui n’avait pas l’habitude de marcher dans le rang.
(*) Nouveau Monde Éditions
