Avec une telle carrière, certains en auraient fait des tonnes. Artiste original et courageux, Michel Piccoli se livre à sa manière -décalée – à l’exercice autobiographique : J’ai vécu dans mes rêves. Un titre qui est tout un programme pour un livre qui joue la franchise et n’est jamais dénué d’humour et s’offre sous l’étrange forme d’un échange de lettres.
Ancien patron du Festival de Cannes, de 1978 à 2014, Gilles Jacob a la distance pour tenir l’ego des artistes à distance. Complice depuis des lustres avec Michel Piccoli, il a entretenu avec lui une vieille amitié dont l’histoire est ponctuée d’échange de lettres. « Les billets, écrit Gilles Jacob, nous les écrivions pour surprendre l’acolyte, pour attirer son attention, et c’est vrai que vous avez toujours aimé étonner. » De fait, Michel Piccoli n’est pas de la trempe des comédiens à tourner en rond et l’homme n’a cessé de tenter des aventures dans lesquelles il se plaît à piquer, ici où là, quelques moments autobiographiques qui donnent à ce récit épistolaire une belle colonne vertébrale et permet un échange des plus attachants. « Je suis un
vieil homme à la mémoire trouée. J’espère aussi que nous n’apparaîtrons pas seulement « en crânerie » à vouloir figurer dans un livre. Il est si compliqué de parler de soi » souligne Piccoli.
Très vite, notamment quand il évoque sa jeunesse, le comédien avoue un penchant pour la solitude, qui s’accompagne souvent d’un égoïsme certain : « Je restai solitaire, et j’ai aimé cette solitude, le fait de vivre en ne s’occupant que de soi et de sa liberté. » C’est ce type de franchise qui touche dans ce volume composé à quatre mains, où le comédien ne masque rien de ses petites faiblesses. Chose rare dans l’exercice autobiographique où le paraître masque souvent le fond de l’être.
Au lieu d’aligner une liste – impressionnante- de cinéastes -il en avait pourtant le choix entre Buñuel et Sautet, sans oublier Costa-Gavras, Resnais- Michel Piccoli a le parti de revenir sur tel ou tel moment, telle ou telle rencontre et sans jouer la langue de bois. Ainsi, il fait le portrait critique d’Yves Montand en ces termes : « Lui, il jouait toujours la même chose : il se faisait « lui ». Cela dit, je n’ai pas du tout envie d’être méchant vis-à-vis de Montand. Il était encombré du sentiment de sa propre grandeur. Cela devait être lourd à porter. J’ai été très ami avec Simone Signoret, une femme formidable. Elle n’était pas sûre d’elle, ni de son travail, ni des autres. Elle n’avait pas l’autorité qu’il fallait vis-à vis de lui. Elle était toujours très amoureuse de son homme et elle le répétait un peu trop. Je pense qu’un homme et qu’une femme qui s’aiment doivent avoir la modestie de taire leur passion d’amour et de ne pas la mettre en scène. »
Il y a aussi une très belle évocation de son histoire avec Juliette Gréco que Piccoli conclue sans fard d’une formule : « Ç’a a été douloureux, de mon côté en tout cas. » Michel Piccoli n’a jamais été un comédien (et producteur-réalisateur) banal. Ses mémoires sont à cette image. « je suis un éternel enfant, heureux de raconter une histoire » glisse t-il.
(*) Ed. Grasset

Une réflexion sur “MICHEL PICCOLI : DERRIÈRE LE MASQUE”