LA FABLE PUISSANTE DE JACQUES AUDIARD

Dheepan_copyright-Paul-Arnaud-Why-Not-Productions_photo-02DHEEPAN, de Jacques Audiard – 1h49

Avec Jesuthasan Anthonythasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby, Vincent Rottiers

Sortie : mercredi 26 août 2015

Je vote : 5  sur 5

 

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Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, Dheepan, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France, ils débarquent comme concierges dans une cité sensible régie par les trafics en tout genre, se connaissant à peine. Ils tentent alors de se construire un foyer.

Et alors ?

En choisissant comme toile de fond  un thème – le conflit tamoul qui s’est terminé par les massacres de 2009 –  Jacques Audiard signe avec ses deux complices scénaristiques (Thomas Bidegain et Noé Debré) une histoire surprenante, récompensée par la justifiées Palme d’or au dernier Festival de Cannes. Justifiée par la finesse d’un récit qui emprunte de façon manifeste aux « Lettres persannes », de Montesquieu en nous montrant la France sous le regard d’étrangers. Des étrangers qui n’utilisent pas l’humour ou le regard distancié pour « dire » une réalité mais expriment une incompréhension, et de la peur face à cette zone de misère dans laquelle ils tentent de reconstruire une vie normale. Symboliquement, cette incompréhension s’exprime par la ligne virtuelle, pitoyable tracé d’un terrain de sport, que tente Dheepan de faire pour créer une frontière entre violence et vie normale. La densité du scénario est aussi marquante qui évoque aussi bien les tracas administratifs, les problèmes de langues, d’éducation qu’une certaine solidarité dans des HLM où règne pourtant une violence sourde.

Justifiée, la prix l’est aussi par la force du jeu des comédiens (seule Kalieaswari Srinivasan vient du théâtre en Inde) et c’est d’autant plus capital que l’on voit la réalité à travers leur regard. S’il a connu lui-même la vie des tigres tamouls avant de fuir son pays quand il avait 19 ans, Jesuthasan Anthonythasan exprime d’un éclair de son regard sombre toute la force intérieure qui l’habite. A mesure que le danger prend corps dans la cité où ils habitent désormais, il parvient à exprimer comment sa nature guerrière est en train de se réveiller.

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Dernière justification de ce prix, la mise en scène puissante de Jacques Audiard dans ce film court, nerveux, en forme de fable moderne douloureuse qui échappe à toute pesante chronique sociale. De la magnifique séquence d’ouverture avec l’irruption de Dheepan au milieu de lumières qui clignotent sur fond du Cum Dederit de Vivaldi, à la splendide scène où le personnage principal reprend le combat dans les fumées qui s’infiltrent dans la cage d’escalier de l’immeuble, il y a la maîtrise totale de la mise en scène. Qui filme le réel lorsqu’il tourne au cauchemar. Et utilise à merveille le cadre de cette cité HLM dont Jacques Audiard dit : « Ce paysage en voie de désertification, mais surtout la collaboration des habitants ont sans doute été actifs sur ce qu’est devenu le film. Mais ça reste un décor.Un décor très frontal, et pas une sociologie. Sinon on s’y serait pris autrement. »

 

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