LOIN DES HOMMES, de Davie Oelhoffen – 1h41
Avec Viggo Mortensen, Reda Kateb
Sortie : mercredi 14 janvier 2014
Je vote : 4 sur 5
1954 en Algérie. Alors que la rébellion gronde dans la vallée, deux hommes, que tout oppose, doivent fuir à travers les crêtes de l’Atlas Algérien. Au cœur d’un hiver glacial, Daru, l’instituteur reclus, doit escorter Mohamed, un paysan accusé du meurtre de son cousin, jusqu’à la petite ville où il sera jugé. Mais, ils sont poursuivis par les villageois qui réclament la loi du sang et les colons revanchards…
Et alors ?
Adapter une texte d’Albert Camus – où la fiction illustre souvent une réflexion philosophique – n’est pas chose facile. En s’attaquant à L’Hôte, issu de L’Exil et le Royaume, David Oelhoffen (Les Retrouvailles) a opté pour une mise en scène sobre et
épuré qui confère au récit un ton de western. La longue marche de ces deux hommes – qui partagent le même destin par un coup du hasard – a alors des allures de western dans un cadre naturel splendide et soumis à toutes les intempéries. Mais un western dont les codes seraient européens. Et David Oelhoffen de souligner : « Le mythe derrière « Loin des hommes » n’est évidemment pas celui de la conquête de l’Ouest, mais celui de la conquête du monde par les idées héritées des Lumières, le mythe de l’universalisme français, qui a rapidement pris la forme du colonialisme, la France généreuse amenant la culture, la liberté… et qui retourne les valeurs humanistes contre les populations locales, qui importe un système injuste. »
En jouant sur ces codes, le cinéaste évite tous les pièges d’une fiction à thèse. Et les évènements vécus par ces deux hommes durant ce voyage vers la ville suffit à évoquer bien des questions : la fraternité, la défense de la liberté, l’obscurantisme des traditions, les obsessions coloniales… Et ce, à travers du film qui ménage quelques scènes d’actions comme l’attaque de l’école par les villageois, le ratissage des montagnes par les paras français qui ne font pas de prisonniers…Cela lui permet aussi de traiter les deux « héros » de l’histoire comme deux êtres sur un pied d’égalité ce qui rend l’histoire encore plus forte. Il s’agit bien de la relation entre Mohamed et Daru, qui passent d’une forme d’incompréhension réciproque à une compréhension dans le danger avec, pour chacun d’eux, la défense de certaines valeurs morales. Symboliquement, Mohamed passe d’un état de prostration, le visage tourné vers le sol, à une attitude plus volontaire, le visage se tournant vers la lumière et cadré en gros plan.
Un parti-pris qui fait la part belle aux deux interprètes qui sont, l’un et l’autre, époustouflants. En descendant d’immigré espagnol, ancien militaire revenu à son métier d’instituteur, Viggo Mortensen est un choix astucieux car son personnage est un marginal de l’Histoire, ni tout à fait pied-noir, ni algérien, ce qui donne une force toute symbolique à Daru. David Oelhoffen souligne : « Il a accepté le projet à la seule condition d’avoir le temps de se préparer à parler arabe, de gommer son accent canadien en français, et de se documenter. En bref, de se préparer comme il le fait lui… C’est à dire à fond. » Quant à Reda Kateb, un acteur qui sort une fois de plus de l’ordinaire, il apporte un vrai charisme à Mohamed qui passe de l’humilité à une vraie fierté au fil de ce périple.
Enfin, il y a une mise en scène qui va à l’essentiel, soutenue par la belle musique originale signée Nick Cave et Warren Ellis, et une photographie magnifique qui rend grâce à la beauté sauvage du décor de l’Atlas algérien. Une histoire forte non dénuée de moments forts comme le passage dans le bordel qui change définitivement la psychologie du détenu juste avant qu’il ne prenne son destin en main.
Un film qui provoque émotion et réflexion.

