TIMBUKTU, d’ Abderrahmane Sissako – 1h37
Avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri, Hichem Yacoubi, Kettly Noël, Fatoumata Diawara
Sortie : mercredi 10 décembre 2014
Je vote : 4 sur 5
L’histoire ?
Aux portes de Tombouctou tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football… Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Kidane et les siens semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur destin bascule le jour où Kidane tue accidentellement Amadou le pêcheur qui s’en est pris à GPS, sa vache préférée.
Au dernier Festival de Cannes, le film a fait longtemps figure de favori – on se souvient notamment de l’émotion du cinéaste durant sa conférence de presse – pour finir par être totalement absent du palmarès. Ce qui reste totalement injuste eu égard à la force de cette fiction où Abderrahmane Sissako décrit au quotidien la vie des habitants de Tombouctou sous le régime des djihadistes. Une histoire qui lui fut inspirée après avoir vu, comme il le raconte, les images de « la lapidation à mort à Aguelhok, petite ville du Mali, d’un homme et d’une femme qui s’aimaient et avaient eu des enfants mais dont le crime était de ne pas s’être mariés devant Dieu. » Avant d’ajouter : « Leur mise à mort fut diffusée sur internet. Et cette atrocité innommable s’est produite dans l’indifférence totale des médias et du monde ! »
La grande force de son histoire, c’est de ne pas être un pamphlet contre… en manipulant de grandes idées , mais de raconter à travers la vie de ce berger touareg qui vit sous une tente dans le désert comment les extrémistes religieux instillent progressivement un régime moyenâgeux. Que ce soit dans l’obligation pour une femme de porter des gants y compris quand on vend du poisson, que dans l’interdiction absolue de jouer de la musique…
Malgré le drame que vit cette population livrée à ces fous de Dieu, Abderrahmane Sissako glisse aussi dans son récit de l’humour. Ainsi avec le personnage loufoque de Zabou, une femme devenue folle et qui promène son coq au nez et à la barbe des extrémistes qu’elle insulte. Ou en montrant aussi ce djihadiste qui est comme un adolescent quand il apprend à conduire en tournant en rond dans le désert. Sissoko montre enfin très clairement comment ces militants sont souvent des mercenaires venus d’ailleurs et qui parlent même très mal l’arabe au point que certains d’entre eux préfèrent communiquer en anglais pour se comprendre. Tout cela concourt à la densité d’un scénario qui touche et révolte à la fois. Avec parfois quelques séquences insoutenables même si le cinéaste prend le parti de ne pas s’y appesantir que ce soit avec la lapidation, filmée à la manière d’un doc sur internet ou dans celle des coups de ceinture administrés aux musiciens.
Et puis, l’astuce de Sissako consiste aussi à retrouver le rythme du western – et ses plans – quand il filme l’affrontement entre le berger et le pêcheur. Ce qui confère à son film quelques très belles séquences comme celle où Kidane sort du champ par la gauche tandis que son adversaire agonise dans le fleuve, sur la droite. Le cinéaste confie : « Mon amour du cinéma vient du western. J’ai toujours aimé cette recherche de la justice. Le cinéma qui me plaît parle des ressorts de la société ? Et là, à quoi tient le destin d’un homme ? Une vache qui se prend les pattes dans un filet de pêcheur, un coup de feu qui part… »
Subtilité du message, réalisation avec du souffle, et casting bien dosé : le film de Sissako aurait du figurer au palmarès de Cannes.
A signaler :
La musique originale du film, très riche, composée par Amine Bouhafa, est disponible chez UMusic.

