WHITE GOD, de Kornél Mundruczó – 1h59
avec Zsófia Psotta, Luke et Body, Sàndor Zsótér
Sortie : mercredi 3 décembre 2014
Je vote : 4 sur 5
Quezako ?
Pour favoriser les chiens de race, le gouvernement hongrois inflige à la population une lourde taxe sur les bâtards. Leurs propriétaires s’en débarrassent, les refuges sont surpeuplés. Lili, 13 ans, adore son chien Hagen, mais son père l’abandonne sur une grande route. Tandis que Lili le cherche dans toute la ville, Hagen, livré à lui-même, découvre la cruauté des hommes. Il rejoint une bande de chiens errants prêts à fomenter une révolte. Leur vengeance sera sans pitié.
Au dernier Festival de Cannes, le film a reçu le Grand prix de la sélection Un certain regard. Il est vrai, on est scotché par la mise en scène de Kornél Mundruczó qui s’amuse avec bien des codes des films de genre – la vengeance, l’aventure, l’autorité parentale… – pour les interpréter à sa manière dans cette histoire en forme de conte cruel sur le monde moderne. Car, à travers le personnage de Lili, une adolescente qui ose se rebeller contre l’autorité des adultes et qui se bat pour sa liberté (Zsófia Psotta est tout à fait remarquable), le réalisateur donne à voir une société où les inégalités se creusent et ce, d’autant plus que, dans les anciens pays de l’Est, une petite partie de la population tente, forte de son pouvoir financier, de diriger la plus grande majorité. Il confie : « Dans l’univers en décomposition qu’est devenue l’Europe de l’Est, la vie ressemble à un soap-opera pour les uns et à un thriller pour les autres. Ces genres alternent dans la réalité aussi facilement que lorsque nous changeons de chaîne sur notre poste de télévision. Parallèlement aux avantages discutables octroyés à certains par la mondialisation, je pense qu’un système de castes se dessine de plus en plus clairement : la supériorité est vraiment devenue l’apanage de la civilisation blanche occidentale et il est presque impossible pour nous de ne pas en abuser. »
Filmant la violence de la société avec un réalisme saisissant, Kornél Mundruczó suscite la réflexion sur l’avenir d’un monde où l’on continue de laisser les inégalités se creuser, la méfiance s’installer. Il ajoute évoquant la dernière partie du film où l’attaque des chiens donne lieu à des séquences saisissantes et effrayantes : « Ce sont les moments où les masses se révoltent, la grande peur actuelle des pays européens. Et ils ont raison d’avoir peur. Je cherchais des images emblématiques
pour représenter cela. C’est ce qui nous attend si nous persistons à refuser de comprendre les autres espèces, nos adversaires ou les minorités. Ce n’est qu’en nous mettant à leur place que nous aurons une chance de déposer les armes. »
Alors qu’il a découvert très récemment le grand film de Samuel Fuller, White Dog, Kornél Mundruczó joue sur un titre aux sonorités approchantes. Il souligne : « Pour le chien, son maître est un dieu. J’ai toujours été très intrigué par les caractéristiques de Dieu dont l’image évoque bonté et tolérance. Dieu est-il blanc ? C’est ainsi qu’on le représente la plupart du temps… Pourtant, l’homme blanc a maintes fois prouvé qu’il était seulement capable de dominer et de coloniser. L’association de ces deux mots dans le titre est donc à mon sens empreinte de contradictions, c’est pourquoi je l’ai trouvée intéressante. »
Par sa manière de nous plonger au cœur d’un récit en forme de cauchemar, par le brio de sa mise en scène – on se demande bien comment il est parvenu à tourner au milieu de plus de 200 chiens pour certaines scènes – Kornél Mundruczó porte un regard sans appel sur la société actuelle en pleine décomposition. Un coup de poing visuel et idéologique dont on ne ressort pas indemne.



