CINE/ TV
CHANTE TON BAC D’ABORD, de David André – 1h22
Documentaire
Sortie : mercredi 22 octobre 2014 et, sur France 2, dimanche 19 à 22h45
Je vote : 4 sur 5
Quezako ?
C’est le portrait d’une bande de copains de Boulogne-sur-Mer, une ville durement touchée par la crise. Ils sont suivis durant une année entre rêves et désillusion. Imaginées par ces adolescents issus du monde ouvrier ou de la classe moyenne, des chansons font régulièrement basculer le réel dans la poésie, le rire et l’émotion.
Gaëlle, flûtiste, qui rêve de faire une carrière artistiqueEt alors ? G
On ne compte plus les documentaires sur la jeunesse ou les fictions qui tentent de raconter, avec plus ou moins de bonheur – et parfois quelques caricatures – la jeunesse actuelle. Rien de cela dans le documentaire bourré d’idées de David André qui a choisi de s’installer au lycée public Auguste Mariette de Boulogne-sur-Mer. A travers les rêves, parfois les doutes et le désillusions d’une bande de cinq amis durant toute l’année du baccalauréat, il scrute le réel d’une caméra
jamais voyeuse tout en prenant ses distances avec elle, par le truchement de ces séquences chantées, imaginées avec les adolescents. Le réalisateur explique ainsi ses choix : « En les approchant, je leur ai expliqué mon idée encore vague : « Vous filmer toute l’année jusqu’au bac, mais surtout raconter l’histoire d’une bande dans une région en crise, vos rêves, vos parents, vos vies. » Non seulement ils étaient pour la plupart dubitatifs (un euphémisme), mais je ne leur avais pas tout dit et l’entreprise s’annonçait périlleuse : j’imaginais en effet depuis le commencement que ces adolescents pourraient interpréter au fil du documentaire des chansons inspirées par leurs vies ou par leurs rêves. Une manière de faire basculer le réel dans une autre dimension et, pour eux, de s’approprier le dispositif du film. Je voulais leur offrir la possibilité de « jouer » avec le regard du spectateur : celui d’adultes parfois nostalgiques d’un monde ancien – le discours « décliniste » selon un néologisme à la mode en France ces temps-ci. »
Si les intermèdes musicaux peuvent sembler naïfs dans bien des films, il n’en est rien ici tant David André joue très bien de la tension entre les deux façons de raconter. Il y a chez lui une grande finesse dans l’observation et il laisse une grande liberté d’expression à ces lycéens qu’il suit aussi bien dans leurs relations familiales, que dans les bars ou les promenades solitaires. C’est une photographie subtile d’un âge où tout semble possible même si la crise impose ses conditions et fait peur aux parents qui rêvent de sécurité pour leur progéniture. De plus, ces amis ont tous des parcours très différents. Entre Nico, le poète un brin dépressif de la bande, très bon élève, et Alex, joueur de contrebasse et look de punk à crête rouge et piercing – qui redouble sa première- il y a sur le papier peu de ressemblance. Et pourtant, leur sens de l’amitié sert de fil directeur à ce portrait d’une jeunesse qui imagine son avenir. Entre les parents, peu de points communs aussi mais le même désir de voir leur progéniture vivre une vie meilleure malgré une ville qui, comme bien des cités régionales, est frappée par la crise, le chômage. Cela donne notamment les séquences très fortes en Gaëlle et son père, électricien sur le port et qui exprime ses craintes face au rêve d’un métier artistique de sa fille, même s’il ne fait rien pour l’en dissuader.
Les onze chansons qui rythment ce récit ne sont pas un gadget visuel et sonore mais accompagne avec finesse ces portraits. « J’ai été renversé par la capacité de ces lycées à s’approprier le dispositif du film ! , note le cinéaste. Pour les scènes chantées, nous utilisons volontairement un dispositif ultra-léger. Nous avons parfois littéralement improvisé des scènes de playback. Ils avaient déjà écouté pendant des semaines le MP3 de leur « maquette de chanson » dans le bus ou chez eux. Ils pouvaient dire les textes n’importe où, comme des pro, avec pour tout « retour » un iPhone glissé dans leur poche et un « clap » qu’on faisait à la main. »
Au final, ce choix de mise en scène offre un portrait d’une grande justesse de ces jeunes exprimant rêves et doutes mais qui n’entendent pas subir une époque où la crise est omniprésente. Sans être jamais naïves, ces tranches de vie sont d’une grande justesse et l’on a du mal à quitter cette bande d’amis qui est très attachante.
En avant-première, France 2 diffuse ce doc trois jours avant sa sortie en salles. Il serait « criminel » de ne pas découvrir un tel travail, émouvant, original et qui ménage quelques séquences visuelles inattendues comme celle où Alex est interrogé dans le cadre inattendu de la cathédrale de Boulogne-sur-Mer.

