UNE LONGUE ERRANCE EN ANATOLIE

winter-sleep-086454 © nuri bilge ceylanWINTER SLEEP, de Nuri Bilge Ceylan – 3h16

Avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbag

Sortie : mercredi 6 août 2014

Je vote : 5 sur 5

L’histoire ?

Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s’est éloigné sentimentalement, et sa soeur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements.

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Une quête de l’introspection humaine. En prenant son temps, Nuri Bilge Ceylan prend un malin plaisir à fouiller la psychologie de son personnage principal, ce quinquagénaire qui rumine son spleen dans cet hôtel perdu dans les collines de l’Anatolie où, seuls, quelques touristes de passage viennent troubler l’ordre immuable des choses. De son métier passé, il ne reste que quelques images symboliques dans son bureau-refuge : les affiches de Caligula, de Camus et de Antoine et Cléopâtre, de Shakespeare. Sans oublier le nom de son auberge, « Othello ». Commentaires du cinéaste : « Haluk Bilginer est un acteur très connu en Turquie et son personnage dirigeant un hôtel, il est logique qu’il lui donne le nom du héros de Shakespeare. »

winter-sleep-086747 © nuri bilge ceylanCette fois, Nuri Bilge Ceylan n’a pas été économe de dialogues -il a écrit le scénario avec sa femme, Ebru- et il radiographie avec minutie les affrontements verbaux d’Avdin avec sa femme et sa sœur, notamment dans une séquence très forte entre ces deux derniers. « En fait, dit-il, nous avions des doutes pendant l’élaboration du scénario et nous nous demandions si le spectateur accepterait ces dialogues très littéraires qui ne le gênent pas au théâtre. » De fait, il y parvient sans coup férir. Et parvient à faire ressentir l’humain dans ses moindres petitesses et dans ses petits arrangements avec la vie, le tout non sans un certain humour.

Une mise en scène splendide. Ce qui permet justement d’oublier des dialogues très écrits, c’est le parti pris de faire ressentir la vie rude de ce coin d’Anatolie quand l’hiver vient y pointer son nez. Certes, il faut aimer la lenteur mais le cinéaste sait la gérer en glissant des moments de vrai réalisme. Ainsi dans les relations de Nihal avec le père alcoolique de l’enfant et cette histoire parallèle de la principale qui débute avec la pierre lancée contre la vitre du 4×4. De même, les personnages féminins, qui sont en prise avec la réalité – sa femme Nihal (ci-dessous) s’occupe de missions scolaires dans la région- confèrent au récit une grande vraisemblance. « Quand j’ai écrit ces femmes fortes, je me suis inspiré de mon enfance, car je vivais avec ma tante et ses deux filles qui étaient ainsi » dit le réalisateur.

winter-sleep-086515 © nuri bilge ceylan

Des comédiens parfaits. C’est par le truchement des trois comédiens principaux – Haluk Bilginer porte le récit de bout en bout de son jeu tout en subtilité- que l’histoire prend une force incroyable. Les relations entre les époux portent la trace, dans le moindre détail, de l’usure du temps et de certaines promesses non tenues. Quant à celles entre Aydin et sa sœur, elles laissent poindre tous les traumatismes familiaux, les névroses et les blessures que le temps n’a fait qu’amplifier.

Alors, certes, cela peut paraître long à l’heure des films au montage serré et à la multitude de plans, mais Nuri Bilge Ceylan signe ici un film qui rend hommage à tout le cinéma et fait réfléchir aussi à la condition humaine, derrière les errances de cet homme revenu de bien des illusions.

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