PIPPO DELBONO ET LE THEÂTRE DE LA VIE

sangue1SANGUE, de Pippo Delbono – 1h32

Avec Pippo Delbono, Giovanni Senzani, Margherita Delbono, Anna Fenzi

Sortie : mercredi 25 juin 2014

Je vote : 3 sur 5

L’histoire ?

C’est l’histoire d’une rencontre : celle de l’acteur et metteur en scène Pippo Delbono avec Giovanni Senzani, ex-leader des Brigades rouges. Une rencontre où s’entremêlent les parcours  de deux femmes : Margherita, la mère de Pippo, catholique fervente, et Anna, l’épouse de Giovanni, opposée à la lutte armée depuis toujours, qui a décidé d’attendre son mari pendant ses vingt-trois ans de prison. Deux femmes malades qui meurent à quelques jours de distance, laissant derrière elles deux hommes seuls, soudain blessés et vulnérables…

sangueEt alors ?

Homme de théâtre célèbre, créateur d’une Compagnie dont les productions ont fait le tour du monde, Pippo Delbono continue de filmer ici les petits moments intimes de sa vie sans pour autant y exprimer la colère, la rage de ses films précédents comme Amore Carne. Il est vrai, ce qu’il filme le touche au cœur : la mort de sa mère coïncidant avec celle de l’épouse de son ami et ex-leader des Brigades rouges. « Dans ce film, deux vies différentes se croisent ; deux vies qui, en apparence, sont si éloignées l’une de l’autre que rien ne semble pouvoir les rapprocher. Ma mère, avec sa passion pour Dieu, et Giovanni, ex-terroriste qui n’a jamais rien raconté, qui a préféré le silence. Et au milieu, telle une ombre silencieuse, Anna, la compagne de Giovanni qui a attendu de le voir libre pour s’en aller elle aussi, comme ma mère, comme les personnes que nous aimons, que nous avons aimées, qui nous ont aimés, comme les personnes que nous avons tuées, comme les personnes à qui nous avons donné la vie, comme les personnes qui nous ont donné la vie. »

Il ne s’agit donc pas d’un film sur le retour à la vie d’un des leaders les plus importants du groupe révolutionnaire, mais d’un regard croisé sur deux hommes murs à des moments où ils se sentent fragiles et où ils laissent tomber le masque. Il n’est pas anodin par exemple que Giovanni Senzani revienne dans ces images sur l’exécution d’un traître à l’Organisation. Delbono confie : « Je n’ai jamais rien demandé à Giovanni Senzani. C’est lui qui a voulu me raconter des choses. Notre relation s’est construite avec le temps, au départ d’une complicité elle-même fruit de notre rencontre, fortuite, étant tous deux des personnes aux passés non seulement différents, mais aussi diamétralement opposés. Ce qui nous a réunis, c’est l’expérience et le besoin de nous remettre en question. Nous ne nous sommes pas rencontrés dans nos certitudes mais dans nos fragilités. » Non sans ironie, il unit au-delà de la mort deux êtres dont l’un croyait au ciel et l’autre n’y croyait absolument pas : la catholique convaincue et qui détestait les communistes car athée et l’ancien révolutionnaire, autrefois adepte de l’action violente.sangue2

S’ouvrant et se terminant par une belle séquence dans Aquila, petite ville des Abruzzes vidée de ses habitants après le tremblement de terre de 2009, ce film offre une réflexion sensible sur la vie, l’amour maternel, le deuil. Avec une caméra qui symbolise l’intimité du regard et permet la proximité avec le sujet.

C’est aussi une des limites de l’exercice car la multiplicité des plans qui tremblent, les ratures visuelles rendent parfois pénibles le visionnage. D’autant plus que Delbono a pris le parti de restituer les sons du quotidien en direct, passant du silence de la chambre d’hôpital où sa mère sangue4se meurt, aux fracas de la rue ou de la route. Parfois cela conduit à de vraies longueurs ainsi quand il filme tout en conduisant l’écran de son mobile où défile un clip de la célèbre chanson sur Guevara : Hasta siempre, commandante !

Même si l’on sent le cinéaste bouleversé par la perte de sa mère, on peut ressentir une certaine gêne quand il la saisit morte sur son lit de souffrance ou quand il revient promener une caméra impudique dans le salons du funérarium. Des images intimes dont on a un peu de mal à partager sans avoir le sentiment d’être un voyeur. 

Un exercice de style qui ne manque pas d’originalité mais crée parfois  un malaise certain. Une chose est sûre : Pippo Delbono ne filme pas d’une manière neutre…

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