LA DICTATURE CHILIENNE ET LES 3 SŒURS DE L’ALTIPLANO

LES SŒURS QUISPE, de Sebastiàn Sepulveda – 1h20

soeurs-quispe2Avec Digna Quispe, Cataline Saavedra et Francisca Gavilán

Sortie: mercredi 4 juin 2014

Je vote : 3 sur 5

L’histoire ?

Chili en 1974. Justa, Lucia et Luciana Quispe sont trois bergères de l’Altiplano au Chili. Elle mène une vie isolée au rythme de la nature. Après le coup d’Etat, Pinochet remet en question ce mode de vie ancestral. Pour les trois sœurs, c’est le début d’une vraie crise existentielle.

3133_677L’interview de

Sebastiàn Sepulveda

Pourquoi ce fait-divers passionne t-il tant l’imaginaire des Chiliens ?

Après le coup d’Etat de Pinochet, la terreur s’est installée dans le pays, elle est restée invisible mais palpable pour la plupart de la population. Les rumeurs de disparitions, d’assassinats et de tortures circulaient. La publications des photos de ce fait divers par les médias fin 1974, durant la période la plus coercitive de la dictature, ont engendré un sentiment d’ angoisse et de compassion envers cette histoire enigmatique qui s’est deroulée au cours de cette même période.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour décrire le quotidien de cet Altiplano si sauvage ?

Ce milieu, a la fois extrêmement somptueux dans son immensité et terriblement hostile dans son aridité, était soeurs-quispe3complexe à transposer sans tomber dans l’image de carte postale. Nous avons donc toujours fait en sorte que les personnages soient toujours en premier plan pour que l’espace figurant au deuxième plan soit habité et non pas présenté comme un objet décoratif.

Le tournage fut-il particulièrement difficile ?

Tourner à 4000 mètres d’altitude avaient ses contraintes de production inhérentes: le mal des montagnes provoqué par le manque d’oxygène obligeait à un rythme de tournage tranquille, ce qui n’a pas empêché quelques évanouissements des comédiennes, et que cela ait déclenche une crise d’ épilepsie à notre cuisinière. D’ autre part, les conditions de vie ont été particulièrement difficiles pour l’ équipe recluse dans un campement construit spécialement pour le tournage. A quatre heures de route de la ville la plus proche, nous n’ avions ni eau ni électricité, et cela a duré deux mois. On se serait cru sur une base scientifique sur la planète Mars !

059289 Digna Quispe, une des nièces de sœurs, joue dans ce film Justa, l’aînée. Qu’a-t’elle apporté au scénario ?

Digna est un personnage en soi : fière, froide mais tendre dans sa dureté. Elle m’ a beaucoup aidé à comprendre la rudesse des femmes de l’Altiplano qui sont contraintes de se protéger émotionnellement et physiquement des hommes pour survivre Digna est un reflet de l’ imaginaire des sœurs Quispe, ses réactions face à certains aspects du scénario nous ont permis d’affiner la réalité du mode de vie que l’on voulait décrire. Un exemple, lorsque le personnage de Fernando (interprété par Alfredo Castro) est arrivé avec ses cheveux longs, Digna a tout de suite réagit avec véhémence: “Ce n’est pas bien, pas les hommes, c’est les femmes qui ont les cheveux longs”.

Ce film est aussi une manière d’évoquer la dictature de Pinochet notamment  à travers le 029444personnage fugace de cet homme qui fuit vers l’Argentine et dont on sait peu de choses. Pourquoi cette volonté d’en dire si peu sur son parcours personnel ?

Le personnage citadin, interprété par Alfredo Castro, est un homme encore sous le choc d’un traumatisme qu’il n’ arrive pas vraiment à exprimer. Enfant durant l’exil, j’ai connu ce type de personnage qui avait réussi à sauver leur peau, et qui dormait le temps d’une nuit dans le canapé de chez moi. Sans les connaître vraiment, de par leur regard hagard et quelques bribes de conversation, ont pouvait décrypter le bouleversement de leur monde. C’est ce que j’ ai voulu dépeindre, ce regard teinté de terreur qui fait écho aux angoisses des soeurs Quispe.

On a souvent parlé de la politique répressive de Pinochet mais jamais montré les conséquences d’interdire le métier de bergers pour ces populations qui vivent dans un autre espace/temps. Pourquoi avez-vous fait ce choix narratif ?

L’exil de ma famille m’ a rendu allergique aux récits épiques et pamphlétaires contre la dictature. « Les Soeurs Quispe » est une histoire périphérique, un monde a priori invisible, où la menace se crée à partir de rumeurs qui engendrent une angoisse existentielle réelle. C’est le premier film chilien qui déconstruit la terreur de la dictature sous le prisme du monde paysan.

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La critique

S’inspirant d’un fait-divers très connu au Chili, le cinéaste signe un récit  en forme de western d’un grand réalisme avec des femmes comme héroïne. On ne peut qu’être sous le charme de l’utilisation très fine  du Scope. Avec un récit qui évoque la dictature sous la forme d’une rumeur lointaine et par l’irruption fugace d’êtres humains comme cet homme d’âge mur qui tente de fuir à pied vers l’Argentine ou le marchand de vêtements.  La force du récit, c’est de nous immerger dans le quotidien de ces trois sœurs dans le décor majestueux mais désolé de l’Altiplano où leur habitation est une protection de fortune face au monde extérieur. Un récit lent, austère, mais qui donne une autre dimension à ce drame contemplatif très bien joué.

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