LES FEMMES DE VISEGRAD, de Jasmila Zbanic – 1h16
Avec Kym Vercoe
Sortie : mercredi 7 mai 2014
Je vote : 3 sur 5
Quezako ?
Après de magnifiques vacances d’été dans un village de Bosnie, Višegrad, Kym, une touriste australienne, découvre que ce
lieu a connu de tragiques événements au moment de la guerre de Bosnie. Touchée, elle ne peut oublier et décide
de retourner sur les lieux pour lever le silence…
Après l’Ours d’or reçu au Festival de Berlain avec Sarajevo, mon amour en 2006, Jasmila Zbanic retrouve la Bosnie pour un film hybride, entre fiction et documentaire, dont la structure s’est imposée durant un tournage difficile. Elle raconte : Nous avons filmé en plusieurs étapes. Le tournage a commencé durant l’été avec le projet de faire un film documentaire. Mais nous avons très vite compris que cela serait impossible et que nous avions besoin d’une approche
différente. Nous avons alors décidé d’utiliser des situations réelles, mais avec des acteurs professionnels et en partant d’un scénario précis. Par exemple, prenons la scène où Kym rencontre un jeune homme de Višegrad lors d’un concert : il faisait partie d’un festival qui a lieu à Višegrad chaque été. Nous y sommes allés avec notre caméra et avons utilisé les vrais décors du festival pour mettre en scène une séquence écrite par Kym. Les répliques de l’acteur correspondaient à des propos que Kym avait entendus lors d’un précédent concert dans cette ville. » En balançant entre des scènes jouées et des plans inscrits dans la réalité de la ville, la cinéaste signe une œuvre-mémorial pour « ceux qui ne peuvent plus raconter d’histoires », pour reprendre la citation d’Ivo Andric, ce romancier évoqué au cours du voyage, et qui est l’auteur du célèbre roman Le Pont sur la Drina, retraçant quatre siècles d’Histoire autour de Visegrad.
En se servant des émotions ressenties et très bien retransmises par Kym Vercoe, comédienne professionnelle australienne et dramaturge au cours de ces saisons passées dans la ville, elle montre bien comment la population a choisi d’oublier -et le monde aussi- les horreurs qui furent commises dans cette ville et ses alentours. Et dans laquelle la parole est confisquée. Kym Vercoe avoue comment cette immersion fut difficile et l’a bouleversée : « Il m’a fallu beaucoup de temps pour digérer la colère ressentie à la découverte de l’histoire de Vilina Vlas et de Višegrad. J’étais en colère
contre les horreurs survenues là-bas, en colère contre moi-même, contre mon manque d’informations et le fait d’avoir été si mal guidée. Mais surtout, au plus profond, j’étais en colère de ne trouver aucun mémorial à Višegrad. Il n’y avait aucun lieu où se rendre pour honorer la mémoire des victimes. C’est ce manque de connaissance et de responsabilité qui a nourri mon désir d’agir. »
On sent bien au fil des séquences que le tournage ne fut pas de tout repos. Confidences de la cinéaste : « Nous étions prévenus en tournant le film que cela pourrait être dangereux et que nous ne serions pas en sécurité à Višegrad. Mais le film devait se tourner là-bas et nous avons décidé de prendre ce risque, en mettant tout en œuvre pour le minimiser. Par exemple, nous n’avons pas expliqué aux gens de Višegrad quel genre de film nous étions en train de réaliser. Nous avons fait ce choix pour les protéger de retombées négatives. »
Si le film ne tient pas toutes ses promesses, malgré la finesse du jeu de Kym Vercoe, il a l’immense mérite de réveiller les consciences et de susciter la discussion. Il est juste dommage que la cinéaste ait signé quelques séquences trop longues -comme celle où l’actrice énumère le numéro des chambres en confectionnant sa couronne du souvenir- et des plans répétitifs sur le fameux pont dont l’ombre devient graduellement si menaçante.

