CATHERINE DENEUVE ET LE JEU SUBTIL DE LA MELANCOLIE

DANS LA COUR, de Pierre Salvadori – 1h37

Avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern, Féodor Atkine, Pio Marmaï, Michèle Moretti

Sortie : 23 avril 2014

Je vote : 4 sur 5

L’histoire ?

Musicien, la quarantaine passée, Antoine met brusquement fin à sa carrière. Il se fait embaucher comme concierge. Mathilde habite le vieil immeuble de l’est parisien où il prend ses fonctions. Jeune retraitée, généreuse et impliquée, qui partage son temps entre ses activités associatives et la vie de la copropriété, elle découvre, un jour, une inquiétante fissure sur le mur de son salon. Peu à peu, son angoisse grandit : et si l’immeuble s’effondrait… Tout doucement, Antoine se prend d’amitié pour cette femme qu’il craint de voir glisser vers la folie. Ce tandem maladroit va t-il les aider à sortir de ce cap difficile ?

danslacour06Et alors ?

 Pierre Salvadori résume ainsi le point de départ du scénario : « Cela faisait longtemps que j’avais le projet d’un film avec un personnage limite. Une femme folle d’inquiétude. Folle au vrai sens du terme. Pour rendre service à un aveugle, Mathilde lui lit quotidiennement la presse. Mais sa fatigue et sa fragilité la submerge, jusqu’à ce qu’elle n’arrive plus à absorber le trop plein de mauvaises nouvelles. Je me suis souvent demandé comment on s’immunisait contre tout ça. Comment peut-on savoir autant de choses et vivre avec, sans paniquer ? Mathilde, elle, n’y arrive plus. » A travers les petites aventures du quotidien arrivant à Mathilde, et les relations sociales qui se tissent dans cette cour d’un immeuble parisien banal, il parvient aussi à décrire le climat d’une époque, et de la peur que vivent certains.  C’est Lev, un routard paumé et mystique. Colette, patronne d’une librairie ésotérique et aussitôt séduite par les élucubrations de Mathilde. Ou encore Maillard, un obsessionnel de l’ordre qui est apeuré à l’idée qu’un squatteur ne vienne dans le débarras de l’immeuble. Au cœur de récit, il y a Mathilde et cette lente dépression avec la peur de voir les choses changer, de donc accepter la vie et ses imprévus. Une peur qui s’exprime avec humour dans la séquence où, flanquée d’Antoine, elle revient visiter la maison de son enfance pour piquer une colère devant tout ce qui a changé. Pas étonnant alors qu’elle trouve avec Antoine, ce personnage hanté par l’envie de dormir, un compagnon de ses craintes. Et, avec Mathilde, Antoine retrouve un ressort, un appétit de vivre. Ainsi, l’histoire est aussi une manière, malgré son côté sombre, de célébrer la force de la relation sociale, du soutien.

Un tel récit, impressionniste et choral, suppose un casting solide. Il l’est. Catherine Deneuve est tout à fait splendide dans le personnage de Mathilde, cette femme pleine de fêlure et qui fait front à sa façon, quitte à mettre son mari , plus posé et « sensé », en colère (Féodor Atkine est parfait). L’actrice avoue aimer la mélancolie qui se dégage de Mathilde : « Autant les comportements excessivement enjoués me paraissent toujours suspects, voire anormaux, autant la tristesse et le mal de vivre me semblent familiers : tout le monde ressent ça ! »  Une femme qui dérègle le bel agencement de la vie comme il faut. Ainsi quand elle met la pagaille dans sa maison d’enfance, elle lance à Antoine sur le quai de la gare : « Mon Dieu, Antoine, vous avez vu ce que j’ai fait… Les gens sont avides de calme et de tranquillité, et moi je leur hurle dessus. »

danslacour04Face à elle, Gustave Kervern ne manque pas son numéro de bonhomme taciturne mais débordant d’humanité, qui glisse doucement mais sûrement dans la déprime. Il incarne un personnage que l’on retrouve souvent dans les films de Salvadori : un mec qui rêve de vivre dans un monde moins pesant. Et Antoine ne trouve ce repos que dans la bière et quelques substances illicites au risque de mettre sa vie en danger.

Entre Catherine Deneuve et Gustave Kervern se met en place dans cette comédie à la fois sombre mais drôle un bel équilibre qui rend ce tandem vraiment touchant et juste. Et avec un sens consommé du dialogue et des situations.

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