LE GRAND TOUR : DU ROYAUME DE SIAM AUX TEMPLES D’ANGKOR – 2h00
Documentaire proposé et présenté par Patrick de Carolis
Diffusion : France 3, mercredi 16 avril , 20h45
Mon avis : 1 sur 4
Dixième volet de l’émission, cet épisode nous conduit en Asie, de la Thaïlande au Cambodge, sur les traces des rois bâtisseurs et d’Henri Mouhot, l’homme qui fit redécouvrir le royaume d’Angkor en Europe. De très belles images pour un documentaire qui manque sinon de fond du moins de recul.
De Versailles pour découvrir dans ses réserves un tableau de Jean-Léon Gérôme illustrant la visite d’une ambassade du roi du Siam, Rama IV à Napoléon III au château de Fontainebleau, le 27 juin 1861 à la mythique cité d’Angkor, Patrick de Carolis a choisi de nous convier en voyage sur les traces de ce souverain.
Un périple culturel qui nous fait visiter la Thaïlande et le Cambodge en évoquant une figure d’explorateurs mal connue : Henri Mouhot. Parti seul en 1858, et sans soutien, sauf celui moral de la Société royale de géographie de Londres, cet homme (ci-dessous) parcourut de vastes régions du Laos au Cambodge où il découvrit, stupéfait, les ruines d’Angkor, dévorées sous l’épaisse végétation tropicale. Auteur d’un
passionnant livre, Voyages dans les royaumes de Siam de Cambodge et de Laos (réédité chez Olizane), Mouhot perdit la vie dans ce périple, victime de la malaria en 1861 : il n’avait que 35 ans. Et les visiteurs curieux peuvent toujours voir sa tombe à quelques kilomètres de la sortie nord de Luang Prabang, au Laos.
Au cours de ce périple aux images spectaculaires -aériennes notamment- Patrick de Carolis joue les guides, nous faisant passer de l’ordination d’un novice en Thaïlande à une découverte des petits quartiers de Bangkok en compagnie d’un musicien français expatrié, Laurent Couson, en poursuivant sa route du côté de Sukhotaï et Ayutthaya, d’anciennes capitales du royaume thaïlandais, avec une halte animalière pour découvrir des éléphants dressés avant de terminer le voyage dans l’immense site d’Angkor. Avec, de lieu en lieu, des invités pour accompagner sa présentation : deux jeunes français devenus champions de boxe thaïe, coatchés par leur père; un professeur de linguistique, Jean-Michel Filippi pour évoquer les traces architecturales françaises à Phnom Penh; ou enfin, Azzedine Beschaouch, un archéologue donnant quelques pistes pour préserver un site tel qu’Angkor.
Porté par une bande musicale qui, comme d’habitude, devient souvent envahissante pour rehausser l’efficacité d’un plan, ce Grand Tour là donne une impression mitigée. Certes, on découvre, à la suite de notre guide omniprésent à l’image, quelques lieux splendides, voire méconnues comme les quartiers populaires de Bangkok, au pied du quartier d’affaires et des grands buildings, comme on découvre comment au musée de Phnom Penh, des artisans pratiquent l’art de l’estompage pour copier les inscriptions sur les stèles qui donneront du grain à moudre aux archéologues. Pour autant, on ne peut que rester sur sa faim devant un voyage en forme d’images d’Epinal et dont la construction part un peu dans tous les sens. On aurait pu
ainsi suivre plus finement le parcours d’Henri Mouhot en l’éclairant par les images modernes en s’inspirant du récit parfois journalistique de l’explorateur qui sait passer au delà des apparences. Mouhot qui n’hésite pas à montrer l’envers du décor et raconter comment les princes ont opprimé certains éthnies. Ainsi, il raconte ce qu’il reste des « pauvres Thiâmes » , une population qu’il avait croisée lors d’un premier passage : « Au lieu de riches moissons, je fus étonné de n’y plus trouver que de grandes herbes : leurs villages étaient abandonnés, les maisons et les clôtures tombaient en ruine. Voici ce qui était arrivé : le mandarin de Pemptiélan, exécutant ou dépassant les ordres de son maître le roi du Cambodge, tenait ces malheureux dans un esclavage et sous une oppression tels qu’ils tentèrent de soulever leur joug. Privés de leurs instruments de pêche et de culture, sans argent, sans vivres, ils étaient abandonnés à une misère si affreuse que beaucoup d’entre eux moururent de faim. »
Pour notre ambassadeur au
Siam, tout regard un tantinet politique n’est pas de mise. Il ne dit rien sur les révoltes populaires qui ont secoué la Thaïlande l’hiver dernier, et se contente d’évoquer de manière très hagiographique le roi star du Cambodge, Norodom Sihanouk dont le choix tout politique de miser sur la carte fatale des Khmers rouges en 1975, par peur de l’ennemi vietnamien, en fera un instrument de ce régime dictatorial qui conduira le pays à la ruine et verra le massacre de centaines de milliers d’habitants. Il aurait pu au moins, dans sa promenade dans les quartiers de Phnom Penh, évoquer le terrible S 21, le Tuol Seng, une école transformée en prison (ci-contre) et centre de torture au cœur de la capitale par la dictature khmère rouge et dont la simple visite fait froid dans le dos quand on découvre les photos de tous les disparus et les salles d’interrogatoire et de torture. Un contexte qui permet de mieux comprendre l’état d’esprit des cambodgiens aujourd’hui, marqués à vie par ces épisodes sanglants et la régression de leur pays.
Au lieu d’une vision plus contrastée et riche, on a droit surtout à une image d’Epinal du Siam, à un programme spectaculaire avec parfois des intervenants qui ne disent que des banalités. On peut penser qu’un archéologue tel que Azzedine Beschaouch avait des choses plus intéressantes à raconter -la reconstruction par le procédé d’anastylose ou les destins tragiques des conservateurs français du site- plutôt que de réagir sur l’afflux des touristes sur le site. Et quant à parler de temples moins visités -quoique !- un arrêt à Banteay Srei (la citadelle des femmes) redécouvert par le vol de bas-reliefs commis par le jeune André Malraux en 1923, et situé à 20 kilomètres au nord-est d’Angkor, s’imposait à la place de quelques plans attendus sur les ruines dans la jungle avoisinante. Et l’inévitable coucher de soleil sur les ruines. Au passage, Jean-Michel Filippi aurait pu évoquer comment André Malraux fut assigné à résidence dans un hôtel près de la poste dans le quartier de Phnom Penh marqué architecturalement par la présence française.
Bref, il y a plein de pistes de découvertes sacrifiées dans ce périple au profit de belles images. D’où la déception finale d’un tour dont il ne ressort finalement que quelques splendides images.

